par Francis ROY, diacre
« Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » nous dit l’auteur du Livre de la Sagesse.
«Ne crains pas. Crois seulement.» dit Jésus à Jaïre, et à sa fille qui venait de mourir il dit : « Jeune fille, lève-toi ! »
Ces paroles de la liturgie de ce jour me touchent profondément : qui de nous ne connaît pas dans sa famille une personne qui souffre durement ou qui paraît s’avancer vers la fin de sa vie terrestre ? Et nous voudrions tant l’aider ou la garder. Lorsque la mort prend le visage de la maladie qui frappe, tourmente, défigure et détruit l’homme en pleine vie, ne sommes-nous pas bouleversés ? Il est tout à fait normal que nous nous posions certaines questions et que nous ayons besoin d’explications.
« Dieu n’a pas fait la mort … il a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même ». La réponse paraît claire : nous avons été créés à l’image de Dieu, l’immortalité fait donc partie de notre être le plus profond. Mais alors, d’où vient la mort ? Le livre de la Sagesse, reprenant l’affirmation de la Genèse, l’attribue au péché : « La mort, nous dit-il, est entrée dans le monde par la jalousie du démon. » Le Diable était jaloux du pouvoir et de la connaissance de l’être humain.
Ceux qui se rangent dans son parti en font l’expérience… » Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que seulement ceux qui se rangent dans le parti du démon font l’expérience de la mort ? Pourtant, la mort nous apparaît comme la condition inévitable de toute créature, comme une loi fondamentale de la nature. Alors, de quelle mort s’agit-il, s’il ne peut s’agir de la mort biologique ? Il s’agit de la mort spirituelle, la privation de Dieu.
« Ne crains pas. Crois seulement.» et puis « Jeune fille, lève-toi ! » L’Evangile d’aujourd’hui nous rappelle que Dieu, nous a faits pour la vie et qu’il n’a fait ni la mort, ni le mal et qu’il n’est pas à la source de la souffrance. C’est pour cela que Jésus, vient nous manifester par son attitude et ses paroles la tendresse de Dieu.
Au départ, ce qui motive Jaïre et cette femme handicapée qui se cache dans la foule, à aller vers Jésus, ce qui les pousse vers Jésus, c’est leur souffrance et leur espérance. Ils veulent, l’un et l’autre croire à la vie, c’est pourquoi ils se tournent vers Jésus. Alors, par la force qui émane de Jésus, la femme est guérie, et, par sa parole, la fille de Jaïre revient à la vie. Ces miracles, comprenons-le bien, ne sont pas une solution, mais des signes. Tout n’est pas encore réglé pour autant. C’est Saint Cyrille de Jérusalem qui demande, dans sa catéchèse baptismale : « Ce fut déjà une chose étonnante que l’aveugle de naissance retrouvât la vue à Siloé, mais qu’est-ce que cela faisait à tous les aveugles du monde ? »
Oui, mais les autres ? Et nous-mêmes ? Nous connaissons tous des hommes, des femmes et des enfants éprouvés par des souffrances de toutes sortes, la maladie, l’accident, le handicap, et nous avons chacun nos souffrances, nos peurs, nos doutes. A chacune et chacun d’entre nous Jésus dit : «Ne crains pas, crois seulement !».
Alors pourquoi s’inquiéter, pourquoi laisser nos soucis nous dominer ? Il n’y a plus rien à craindre pour celui qui croit ! Laissons Jésus déployer sa force de vie. Facile à dire, et surtout impossible à faire ! Non, pas pour Dieu ! Sans que la demande soit formulée, Jésus connait nos attentes, il connait chacun de nous, il sait nos souffrances et il apporte son salut simplement parce qu’il est Dieu, Dieu d’amour et de miséricorde.
« Ne crains pas, crois seulement ! » Nous sommes là au cœur de la foi chrétienne. Si nous croyons que Jésus, qui a donné sa vie par amour pour nous est ressuscité, et si nous croyons que nous sommes déjà unis à lui et qu’il demeure en nous, alors, nous pouvons affirmer, de façon étonnante, que la mort véritable, celle qui est séparation de Dieu, n’est plus devant nous, mais derrière nous.
Ce récit de deux guérisons, ou plutôt d’une guérison et d’une résurrection, est en fait une affirmation de l’universalité du salut. La femme de l’évangile n’emploie pas le verbe guérir, mais le verbe sauver : « si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée » et non pas « je serai guérie ». De même, à son tour, Jésus ne lui dira pas « Ma fille, ta foi t’a guérie » mais « ma fille, ta foi t’a sauvée ». Jésus ne se contente pas de nous guérir, il nous sauve, c’est à dire qu’il ne guérit pas seulement nos corps, mais tout notre être, corps et esprit, toute notre personne. Plus que de guérisons corporelles, qui ne sont qu’un signe, il s’agit de guérisons spirituelles. Et le récit va même plus loin, en montrant que même la mort n’est pas un obstacle à notre salut. Jésus est maître de la vie, il est capable de guérir les maladies de nos corps mais aussi de nous réveiller de la mort. Car, comme nous l’avons entendu dans la première lecture, du livre de la Sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants » et plus loin : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable ». Comme pour cette jeune fille, la mort n’est selon Dieu qu’un sommeil, dont il viendra nous réveiller.
Le salut présenté par ce récit est donc universel, qui s’adresse à tous, mais aussi personnel. Dans cette foule qui le presse de toute part, c’est parce qu’une personne dans la souffrance le touche que Jésus se rend compte qu’une force sort de lui. Même sans que la demande soit formulée, Jésus connaît nos attentes, il connaît chacun de nous, il sait nos souffrances, et il apporte son salut presque malgré lui, pourrait-on dire, simplement parce qu’il est Dieu, Dieu d’amour et de miséricorde.
C’est d’un salut personnel dont il s’agit encore, lorsque Jésus prend la jeune fille par la main en lui disant « je te le dis, lève-toi ». Le psaume 29 que nous avons chanté sonne comme une réponse de l’homme à cette attention toute personnelle de Dieu pour chacun de nous : « Quand j’ai crié vers toi, Seigneur, mon Dieu tu m’as guéri ; Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse. » Guérison, résurrection…
Nous le voyons, ce récit est très dense et très riche en signes, en signification pour chacun de nous, personnellement, aujourd’hui. Je vous invite vraiment à prendre un peu de temps ce dimanche ou dans la semaine qui vient pour le relire, avec les yeux de la foi, en essayant de décoder comme nous venons de le faire chacun des gestes de Jésus, chacune des expressions utilisées par St Marc pour nous faire comprendre la seule chose qui importe vraiment : Dieu nous a créés par amour, pour que nous vivions éternellement, pour que nous vivions de son amour, de sa vie de sa, joie. Et si nous tombons, il vient nous relever : « je te le dis, lève-toi ! » Toute guérison, tout relèvement de vie brisée, toute dignité retrouvée s’appelle « salut » quand nous savons y discerner avec confiance un signe plus profond de la vie à venir, vie en plénitude avec Dieu, dans l’éternité.