Un sermon sur l’unité des chrétiens ? à quoi bon, puisqu’il n’ya plus de problème, et que nous pensons tous pareil ? nous ne nous tapons plus dessus comme dans les temps obscurs, et puis : chacun fait bien ce qu’il veut, non ? à quoi peut servir la prière ? enfin, pour être sérieux, quepeut-elle contre le scandale de la séparation eucharistique ?
La division existe dès l’origine … elle est naturelle, dit-on, certes oui …. Mais la foi remonte / évidences ; prier traverse le « ce qui va de soi », le « ce qui tombe sous le sens ». Dès l’origine aussi, la Pâque est présente. Elle demande à être entendue et à féconder nos regards ou nos pensées. Contraire à la division, l’unité est une ébauche de résurrection.
D’abord, nous prions parce que Jésus a commencé. Il disait « Père, qu’ils soient un comme nous sommes un, toi en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un pour que le monde croie ». Jésus a prié, il nous a demandé de prier. Prier avec le désir passionné que le monde vive dans l’amour du Père.
À la question « à quoi bon l’unité ? » se substitue la question « veux-tu que tous tes amis découvrent l’amour fou du Père? ».
Donc prier pour l’unité, c’est désirer pour tous la meilleure qualité de vie. Est-ce le cas ?
Reprenons depuis le début : Jésus a réuni un groupe d’hommes et de femmes aux personnalités et aux tempéraments bien variés. Opposés parfois. Mais toujours bien humains, et lourds de leur humanité. Ce qui intéressait les disciples était de savoir qui serait le plus grand, qui pourrait prendre place à la droite et à la gauche de Jésus dans son royaume, comment établir le royaume de Dieu pour qu’ils y aient de bonnes places de chefs. Jésus leur avait pourtant dit que les vrais grands hommes devaient affirmer la dignité des pauvres de manière priviégiée et servir à leur laver les pieds. Mais pas à s’occuper d’eux-mêmes, surtout pas.
Dans la suite de l’Histoire, on a vu des chefs de guerre comme l’empereur Constantin ou le roi Clovis devenir chrétiens parce que la croix du Christ avait la vertu magique de les faire gagner contre les adversaires. Étrange respect du crucifié ! On a vu des évêques dans les conciles des premiers siècles s’empoigner et s’étriper, copier en Église les haines et les divisions du monde politique entre Antioche, Alexandrie et Rome —cela semble continuer aujourd’hui dans des phénomènes d’édition de pape à pape ?? division entre Amérique du Nord et pauvres du Sud ??–. Puis entre la Méditerranée et les peuples du Nord ou de l’Est de l’Europe.
Les dynamiques politiques et sociologiques imprègnent leurs querelles. Elles font des conflits de disputes religieuses sérieuses.
Mais ils se sont retrouvés par la grâce d’une certitude : le seul principe qui devait nous guider est que Christ vient sauver « tout homme et tout l’homme ». Alors, on pouvait redécouvrir toute la valeur divine des humains, parce que le Fils de Dieu avait accompli sa vocation d’homme. Il est pleinement homme pour que l’humain reçoive –comme disent les Orthodoxes— sa divino-humanité.
L’unité ne pouvait revenir que par le point de vue final : cesser de focaliser sur les divergences de l’immédiat pour décider de tout penser à partir de notre vocation, càd d’être, tous, dès maintenant et pour toujours, des ressuscités. Penser, donc, à partir de Dieu et non pas de nous. Se convertir à l’Eternel plutôt qu’à un habillement, fût-il juste. Et découvrir que tous les humains ont dignité d’Enfants de Dieu.
Donc, prier pour l’unité des croyants, c’est prier pour que tout homme se découvre valable et aimable. Il ne peut plus y avoir ni esclaves ni gens exclus ; il faut quitter la volonté de puissance ou de domination ; abandonner l’idée que d’avoir de l’argent achèterait la miséricorde de Dieu. Entendre le besoin de liberté.
[ à Dijon, je ne peux qu’ouvrir une parenthèse sur la nécessité d’intelligence dans cette humano-divinité : en la Saint-Barthélémy 1572, lorsque fut donné l’ordre du massacre des huguenots, un avocat et un responsable du Parlement de Bourgogne demandèrent respectueusement confirmation de l’ordre royal : le temps pour la missive d’aller à Paris, puis à la réponse de revenir, –l’ordre était aboli et les protestants sauvés ].
On pourrait faire l’hypothèse suivante : lorsque le monde se délite, part en lambeaux déchiquetés, l’Église dans son entièreté vient réunifier les sociétés faillies. Elle propose de se reprendre en main avec d’autres moyens. De construire avec d’autres objectifs que le court-terme – avec un Esprit, en s’appuyant sur une Parole, en se laissant structurer par elle.
Sur les ruines de la 1° guerre mondiale, l’abbé lyonnais Paul Couturier noue des contacts avec un grand nombre de confessions chrétiennes. Il rencontrera le jeune pasteur suisse Roger Schutz qui créera l’église de la Réconciliation à Taizé, juste après la 2de guerre. Des milliers de personnes viendront y puiser.
N’est-ce pas ce double besoin de silence et de prière, et le retour à la Bible, qui seraient le seul armement efficace ?
Dans les années 1940, l’étudiant Jacques Loew découvre la condition des dockers de Marseille et suscite les prêtres ouvriers. L’écrivain Gilbert Cesbron leur donnera stature romanesque publique avec « Les saints vont en enfer«
En 1963, le dominicain Yves Congar fait paraître la révolution tranquille de son » Pour une église servante et pauvre« . C’est juste avant le 2° concile du Vatican où tout se pensera à nouveaux frais.
Alors, donc, comment cette fonction prophétique baptismale peut-elle se traduire aujourd’hui ? Quel serait en notre XXI° siècle l’apport à la société de l’Église « une, sainte, universelle et apostolique » ?
Je me risque à dire : que dialoguer est foncièrement nécessaire au temps des monologues identitaires. Et que se passionner (pour le Christ Jésus et pour son attention aux plus humbles des humains) conteste le relativisme individualiste.
Si l’on veut se respecter entre les confessions chrétiennes, qu’on-elles à se donner les unes aux autres ? quel est l’apport des protestants ? quel est l’apport des orthodoxes ? quel est l’apport des catholiques ?
Le protestantisme : tout nous vient de par la grâce et la personne du Christ, de par sa foi, et en même temps le Ressuscité attend de nous une fraternité agissante. Sa Parole nous le dit.
L’orthodoxie : réaliser dès aujourd’hui la gloire du Royaume éternel, le présentifier sur une terre concrète. La Liturgie nous le dit.
Catholique : il unit le mysticisme du regard porté sur le Seigneur, et une coquille protectrice – qui paraît parfois une carapace rigide aux yeux de certains. C’est du discours sur la Trinité que cela vient.
Ainsi, l’œcuménisme est pertinent s’il permet de sortir des routines et de redécouvrir de façon toujours nouvelle combien tout est fondamentalement construit sur le Christ. C’est lui qui nous passionne et rien d’autre et nul autre. « Christ, aujourd’hui comme hier et demain ».
Amen, alleluia.
père dominique nicolas