par Claude Compagnone, Diacre
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix
et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. »
Nous connaissons bien ces paroles du Christ tant elles sont fortes : renoncer à soi-même, prendre sa croix, perdre sa vie. Peut-on dire que ce sont des mots d’un programme très enthousiasmant ? Pas vraiment. Du coup, les entendons-nous bien tellement ils peuvent paraître dérangeants ? Ils ne laissent voir apparemment que contraintes, renoncements et sous-développement de notre personnalité et de notre individualité. Combien semblent-ils être en décalage et éloignés de ceux de notre monde moderne qui nous promet et valorise le développement personnel, un accès toujours plus grand à la diversité du monde, par les voyages, l’art, la culture, qui nous promet la possibilité de vivre des émotions fortes par le truchement de dispositifs techniques de plus en plus sophistiqués.
Avez-vous remarquez combien ce verset personnalise les choses ? Il s’agit ici de renoncer à « soi-même », de prendre « sa » croix, de perdre « sa » vie. Ce n’est pas des autres dont il s’agit, mais bien de nous et de nos choix profonds, intimes, personnels, qui nous constituent. L’exigence du Christ pour pouvoir le suivre est-elle donc trop lourde, trop impossible, par la fermeture, en quelque sorte, qu’elle demanderait sur la vie, sur notre vie ? La question vaut franchement le coup d’être posée, à la fois pour mieux comprendre le sens des paroles du Christ, pour savoir si nous les faisons nôtres ou pas, et pour savoir comment elles peuvent se concrétiser dans notre vie.
Prendre sa croix. Ce que nous demande le Christ ici ce n’est pas de prendre la croix de quelqu’un d’autre, ni d’aller chercher une croix qui ne serait pas là. L’alternative est ici de prendre notre croix ou de ne pas la prendre. Cette croix est faite des déceptions, des rêves sans lendemain, des échecs, des manques, des incapacités, des peurs, des handicaps, des souffrances physiques et psychologiques, des obligations ou des engagements trop lourds qui nous habitent et nous entravent. D’une façon ou d’une autre notre croix est là, elle nous est imposée par la vie. Notre choix ne porte pas sur le fait d’avoir une croix ou pas. Nous en avons chacune une, différente, certes plus ou moins lourde selon les uns et les autres, mais cette croix est bien là. Mais qu’en faisons-nous ? Là est notre choix.
L’ignorons-nous, en nous absorbant dans nos activités, dans tout ce qui peut éviter de nous y faire penser ? Ou au contraire la prenons-nous en charge, la mettons-nous là, sur nos épaules, sous notre regard, laissant son poids peser sur nos épaules ? Cette croix qui était une vraie ancre, qui nous clouait au sol, qui nous empêchait d’avancer, n’est alors, placée sur nos épaules, plus un obstacle. Elle pèse certes, mais en la portant nous pouvons avancer, aller plus loin, découvrir autre chose. Nous pouvons vivre.
Et le Christ, bien plus que de nous dire de porter notre croix, nous offre un moyen de la porter en nous proposant d’agir dans notre vie comme il a agi lui-même dans la sienne, en étant mus par l’attention aux autres, par un amour envers les plus démunis, en entrant toujours plus en vérité en relation avec Dieu, avec les autres et avec la création. Le Christ nous le dit « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » En faisant nôtres les exigences du Christ, en les portant, notre croix, chargée sur nos épaules, se transforme et se fait plus légère.
Et pour faire cela nous devons effectivement renoncer d’une certaine manière à une part de nous-même. Nous devons renoncer à être celui qui refuse de voir qui il est profondément ; nous devons renoncer à être celui qui se perd dans ses activités afin d’oublier sa croix ; nous devons renoncer à être celui cloué au sol par une croix qu’il veut ignorer et qui le plombe lorsqu’elle reste ainsi étalée au sol. Nous devons, comme le dit le Christ, renoncer à nous-même. Mais il s’agit d’un certain nous-même. Nous ne renonçons pas pour n’être plus personne, mais nous renonçons pour être autrement, pour être plus justement et plus profondément nous-même.
« Qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » nous dit le Christ. A ces mots, nous avons tous en tête ces héros de la foi chrétienne, les martyrs qui ont donné leur vie au nom de leur foi en Christ et à qui la vie éternelle est promise. Mais ces mots nous concernent aussi dans notre vie ordinaire, maintenant : perdre notre vie en renonçant à celle que nous avons choisi de bâtir tout seul, c’est accepter, en nous mettant au service du Christ, de nous trouver nous-même et de recevoir la vraie vie.