par Claude Compagnone, Diacre
Gn 18, 1-10a ; Lc 10, 38-42
Nous avons entendu dimanche dernier la parabole du bon samaritain. Il y était question des commandements mis en œuvre concrètement au bénéfice de son prochain, ce prochain pouvant être cet étranger que l’on croise par hasard, dans la détresse, et qui partage avec nous une commune humanité. Le bon samaritain agit, donne de son temps, de son argent, de son affection, alors que le prêtre et le lévite, qui passent par le même chemin que lui, restent à distance et se détournent de l’homme blessé dont le bon samaritain va s’occuper.
Si vous ouvrez votre bible, vous verrez que le texte d’évangile de ce jour, qui parle donc de Marthe et Marie, suit, dans le chapitre 10 de l’évangile de Luc, immédiatement celui du bon samaritain. L’évangéliste Luc a trouvé bon et utile d’accoler ces deux épisodes l’un à l’autre. Ne veut-il pas nous dire par-là ce que sont les actions justes que nous devons conduire ? Notons, toutefois, que dans l’épisode de Marthe et Marie, il ne s’agit plus de parabole mais du récit d’une rencontre réelle entre le Christ et deux femmes. Toute lectrice ou tout lecteur, attentive ou attentif des évangiles sait que les femmes ont une place importante dans la vie du Christ et dans l’accomplissement de sa mission.
Dans l’épisode de Marthe et Marie, il est donc encore question d’action et d’inaction mais de manière inversée et décalée par rapport à ce qui nous est dit dans la parabole du bon samaritain. Dans la parabole du bon samaritain, des spécialistes de la loi, le prêtre et le lévite, ne mettent pas en œuvre la parole des commandements, sur l’amour du prochain. Ils n’agissent pas. Ne le faisant pas, ils loupent une rencontre, ils loupent d’une certaine manière Dieu alors que le bon samaritain, lui, agit et rencontre Dieu.
Avec Marthe et Marie, il s’agit encore de rencontre avec Dieu, d’une rencontre du Christ avec deux femmes, qui vont devenir ses amies. L’une ne le sera pas plus que l’autre. Marthe, qui s’active, le sera tout autant que Marie, qui, en s’asseyant aux pieds du Seigneur pour l’écouter, en position de disciple du Maître, prend une place normalement dévolue aux hommes. Pourtant ce qui est mis en valeur dans cet épisode, ce n’est plus alors l’action, comme avec le bon samaritain, mais le temps de l’écoute de la parole de Dieu.
Comme si le texte voulait nous dire cette respiration que nous devons avoir entre le temps de l’action envers notre prochain et le temps du ressourcement par la parole pour nourrir cette action. La respiration est inspiration et expiration. Nous absorbons l’air et nous le restituons ; le souffle est orienté vers notre intérieur pour ensuite s’orienter vers l’extérieur. Dans ce mouvement continuel, nous vivons, nous nous équilibrons dans notre place dans le monde.
Pour agir, nous avons besoin de savoir qui nous sommes et ce qui compte. Sans ça, nous pouvons être complétement atone ou nous mettre en suractivité. Et c’est peut-être de cette question de la suractivité dont traite le Christ avec Marthe. Le prêtre et le lévite, dans l’épisode du bon samaritain, étaient en sous-activité, c’est-à-dire complétement en retrait, à distance, par rapport à ce qu’il était pourtant bon et urgent de faire, c’est-à-dire s’occuper de l’homme blessé. Marthe, dans cet épisode que nous venons de lire, montre aussi un comportement désajusté par rapport à la situation : elle en fait trop par rapport à ce qu’il serait bon de faire. Car au moment où le Christ parle à Marthe et Marie du royaume de Dieu, c’est cela qui compte, c’est cela qui va nourrir leur action future, c’est cela qui va donner du sens.
Ce qui devient alors le nœud de ces deux épisodes, du bon samaritain et de Marthe et Marie, est que, par leur sous-activité ou leur suractivité, le prêtre, le lévite et Marthe loupent quelque chose d’essentiel : ils et elle loupent une rencontre avec le Seigneur. Les uns perdent le sens de la parole des commandements en ne les mettant pas en pratique et Marthe perd le sens de l’action en en faisant trop dans la situation d’accueil du Christ.
Ils et elle loupent une rencontre avec le Seigneur… Le Seigneur passe et il nous faut être vigilant à le rencontrer. Ainsi dans le texte de la Genèse que nous venons de lire, Abraham rencontre le Seigneur aux chênes de Mambré. Abraham voit sa présence dans ces hommes qui se tiennent près de lui. Il les écoute. Et ce que nous dit la fin de ce chapitre de la Genèse – fin que nous n’avons pas lu -, c’est que « quand le Seigneur eut fini de s’entretenir avec Abraham, il partit et Abraham retourna chez lui ». Abraham n’est pas reparti vide, mais plein de cette rencontre avec le Seigneur. Pour agir.
Sœurs et frères, l’écoute du Seigneur et l’action pour le Seigneur sont notre respiration. Nous avons besoin de l’une et de l’autre. L’une et l’autre sont l’occasion de rencontres avec le Seigneur, occasions qui vont nous nourrir et donner du sens à notre vie. Sachons être attentifs à nous engager dans les actions justes et à rester à l’écoute du Seigneur.
Amen