homélie du dimanche 13 janvier 2019 ( Fête du baptême du Seigneur)

Par le Père Denis MARION

 

Nous fêtons aujourd’hui le baptême de Jésus.

Le mot ‘baptême’ signifie ‘plongeon, plongée’. En grec, plonger se dit ‘baptô’.Baptême de l’air, baptême du feu : le jour de la première fois. Le jour où Jésus plonge dans sa mission . Ce jour-là est bien réel. C’était dans les années 27-28 de notre ère. Un vaste mouvement baptiste était né pour engager le peuple des croyants à un nouveau départ, à un changement de vie, pour permettre à Dieu d’instaurer son Règne face à la pression romaine, à la vénalité des grands-prêtres,  à l’arrogance des scribes, à la précarité des endettés. Jean-Baptiste en était le prophète reconnu. L’historien Flavius Josèphe nous parle de lui, à la fin du 1er siècle. Les gens venaient de partout. Un jeune trentenaire, Jésus de Nazareth, se joint à eux, adhère au mouvement et plonge dans le vif de l’action avec les suites que l’on sait. Moment décisif pour la suite de l’histoire du monde. Commémorons donc ce jour unique. Nous en avons l’habitude en France : 14 juillet, 11 novembre, 8 mai , et tant et tant d’autres. Très bien, mais encore….

Il y a là plus qu’un simple souvenir du passé. Très tôt après la résurrection, les disciples de Jésus et la liturgie de l’Eglise après eux ont pris toute la mesure de l’événement, qui nous touche encore de près aujourd’hui. Ce n’est pas seulement le baptême de Jésus, c’est le baptême du Seigneur, puisqu’il concerne Celui qui est toujours vivant et agissant parmi nous.

La fête du baptême du Seigneur est un moment décisif de l’année liturgique. Elle est à la fois le dernier dimanche du cycle de Noël et le premier dimanche du Temps ordinaire, transition entre l’intimité des familles et la rudesse de la vraie vie.

Aujourd’hui est présenté, désigné, investi par Dieu lui-même Celui que Jean-Baptiste a désigné comme le plus fort, Celui qui nous immergera dans l’Esprit et le feu. Il va être le héros du grand récit évangélique qui nous accompagnera sur le chemin de la foi tout au long de cette année C. Bien saisir son identité est de première importance pour percevoir la portée profonde de son action dans chacun des évangiles qui seront lus cette année.

Le portrait qui nous est fait de lui aujourd’hui est le reflet de ce que S Luc a retenu de lui. Il a ses accents propres par rapport à ceux qu’expriment Marc et Matthieu. Il s’approcherait de celui que fait Jean. Mais l’Eglise veut élargir l’horizon , et à travers le texte d’Isaïe, le psaume 103 et la lettre de S.Paul à Tite, elle veut encore  dévoiler toute la portée de ce baptême du Seigneur, par rapport au passé et par rapport à notre présent et à notre avenir. Je dégagerai quatre chemins d’entrée dans ces textes, à travers quatre thèmes de l’évangile de Luc, qui rayonnent sur l’ensemble de son œuvre :

le peuple  –  la prière  –  l’aujourd’hui de Dieu  –  la joie  — le tout baignant dans la nouveauté, l’embrasement, l’énergie créatrice de l’Esprit du Père.

« Le PEUPLE venu auprès de Jean-Baptiste était dans l’attente et tous se demandaient en eux-mêmes  si Jean n’était pas le Christ(=le Messie) », c’est tellement rassurant d’avoir le personnage

providentiel, cet alibi dont on pense qu’il pourrait tout régler à notre place, que sa fonction soit politique ou religieuse, le Pape, le Président !

Ce peuple, c’est bien nous . Il nous représente tous. On va le retrouver tout au long de l’évangile de Luc au premier rang des auditeurs de Jésus, attentif et prompt à l’émerveillement, mais lent à s’engager vraiment…jusqu’au pied de la croix : « Le peuple restait là à observer. » Luc 23,35

Le texte d’Isaïe universalise la portée de ce constat. Dans d’autres temps aussi le peuple est en souffrance, pas seulement quand il prend des gilets ou des stylos de couleur. Déjà les exilés de Babylone (Isaïe) désespèrent de s’en sortir ; les contemporains de Jésus peinent sous le régime d’occupation romaine. Et nous-mêmes sommes accablés par l’orgueil, l’injustice, la corruption, le cynisme, l’aveuglement du monde, qui ont leur prolongement jusqu’en notre propre cœur.

Il a encore bien du chemin à faire, ce peuple, avant de devenir ce « peuple ardent ) faire le bien » dont rêve le Père, comme nous le dit S.Paul.Mais enfin, il est en attente, là au bord du Jourdain. Tous ces gens reconnaissent leur péché, prennent leurs bonnes résolutions de début d’année. Il décident de changer les choses :  le climat, le niveau de vie, les relations sociales. En se purifiant dans les eaux du Jourdain(rive est!), c’est comme s’ils voulaient tout reprendre à zéro depuis Moïse et faire une entrée toute nouvelle en Terre promise. Mais l’idée qu’ils s’en font n’est peut-être pas tout à fait la bonne. Jean-Baptiste leur a annoncé le jugement de Dieu qui va tout régler d’un coup, par l’Esprit et le feu( style Elie! cf Luc 9,53-55) : « La cognée est à la racine de l’arbre »Luc 3,9 ; « Il va brûler la paille au feu qui ne s’éteint pas » Luc 3, 17. Pas tendre, Jean-Baptiste ! Les bons d’un côté, les méchants de l’autre ! Gare ! (Notez que la liturgie a omis ce passage, pour ne pas vous faire de peine!) Nous entrons souvent dans ces vues du Baptiste dans nos sursauts de bonne volonté ; soit on baisse les bras dans un pessimisme moral ou une culpabilité latente ; soit on se raidit dans des jugements tranchants ou une rigidité qui exclut. Jean-Baptiste lui-même a bien conscience d’être dépassé, qu’il ne fait que préparer le terrain à un autre. »Celui qui vient après moi est plus fort que moi. » Mais le plus fort qui vient ne sera-t-il pas encore plus sévère ? Tout cela n’est pas très rassurant. Qui pourra tenir ? (cf le sixième sceau, Apoc 6, 12-17)

Là-dessus Jean quitte la scène. Luc nous raconte ici de manière anticipée  ses démêlés avec Hérode et son arrestation (passage omis). Même si l’homme se bouge, cela ne résout pas tout. Luc le redira : « La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean le Baptiste ; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé et chacun met toute sa force pour y entrer. »Luc 16,16. Entre nos efforts humains et le Royaume, il y a un abîme infranchissable que seule le grâce du Père en Jésus-Christ et l’irruption créatrice de l’Esprit-Saint peuvent nous faire franchir.

C’est là qu’arrive la PRIERE qui seule nous ouvre à l’accueil de l’Esprit de Dieu (cf Actes 1,14)

Alors Jésus paraît. Jean n’est plus là pour le montrer du doigt. Un temps nouveau est là. Jésus vient de lui-même, souverainement ou plutôt il paraît de façon étrange propre à faire tomber nos peurs du jugement de Dieu. « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. » Admirable phrase, où tout est dit de façon visuelle, encore faut-il ne pas perdre contact avec la lettre du texte et en peser chaque mot.

Trois choses ressortent qui nous épatent :

Le peuple s’est fait baptiser, cela, on en connaissait et le fait et les raisons. Mais voici que Jésus arrive par le même chemin que ce peuple, par la petite porte ; il se fait l’un d’entre eux et reçoit de l’un d’eux le baptême. Il est solidaire jusqu’au bout de notre misère et de notre fragilité et il se rend même dépendant de nous. « Fils d’Adam,fils de Dieu », dira la généalogie de Luc en 3, 38. Dans l’adieu qu’il a fait lire pour ses obsèques, mon ami, le P.Pierre Auffret, parle de « son frère Dieu, qui lui a tant donné de sa Vie ici-bas. »

Ensuite, solidaire du peuple, Jésus PRIE. Il prie son Père, bien sûr ; mais dans sa prière il englobe tous ces nouveaux frères avec qui et pour qui il s’est plongé dans les eaux incertaines de l’existence. (Il faudrait lire ici le psaume 123(124)). Cette prière, expression de sa relation constante avec le Père (Jean 5, 19-20), Jésus la pratiquera tout au long de sa route, spécialement aux moments-clés de sa mission : choix des apôtres(Luc 6,12), confession de Pierre(9,18), Transfiguration (9,28-29), avant la révélation du Notre Père(11,1), avant l’annonce du reniement de Pierre(22,32), face à ses bourreaux(23,34), à sa mort(23,46). Il continue d’ailleurs de le faire dans l’éternité : Rom 8,34 ;Heb 7,25.

Alors seulement le ciel s’ouvre et l’Esprit est donné, une fois pour toutes.

L’AUJOURD’HUI du salut. Le ciel s’ouvre, où règne celui qui est au delà du temps, hier, aujourd’hui et demain. Comment mettre des mots sur l’inexprimable venue de l’Esprit-Saint. Le langage bafouille/ Luc dit : « comme une colombe ». Un peu flou certes, mais flou bien réel, quelque chose qui dit : amour paix, pureté. Par divers mots, Luc insistera tout au long de son œuvre, Actes compris, et davantage que les autres évangiles, sur cette puissance de l’Esprit à l’oeuvre  en Jésus. Un seul exemple en Luc 6,19 : « Et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. »

De toutes façons, si la vue se brouille la voix du ciel le dit clairement : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé. » c’est dire d’emblée au lecteur de l’évangile que l’homme Jésus, notre frère, est bien ce Fils de Dieu annoncé depuis le début à Marie et qu’elle a porté dans son sein, que les anges ont chanté, que Syméon a reconnu et dont la première parole d’adulte a été de dire qu’il lui fallait être chez son Père.

C’est lui que les porteurs de bonne nouvelle d’Isaïe 40 annonçaient à Jérusalem : « Voici le Seigneur Dieu…Comme un berger, il fait paitre son troupeau…son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur. »

Cette parole du Père rappelle le décret d’intronisation du roi établi à Jérusalem et qui sera le chantre et le protagoniste du psautier : »Je proclame le décret du Seigneur : il m’a dit :’Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande et je te donnerai les nations en héritage.’ »Ps 2,7s

Cette parole dite sur celui qui émerge des eaux de la mort est prononcée dans un éternel AUJOURD’HUI. Cet aujourd’hui, absent de notre texte lui-même, apparaitra tout au long de l’évangile de Luc, en particulier 2,11 ; 4,21 ; 5,26 ; 19,5-9 ; 23 43. En Jésus, la royauté de Dieu s’exerce déjà. Luc 17,20-21 : »La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On en dira pas :’Voilà, il est ici !’ ou bien ‘Il est là’. En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. »

Et le bon larron en fait l’expérience : »Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. Jésus lui déclara :’Amen, je te le dis : aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis’ .»

Luc 23,43 .Qui se confie à Jésus a déjà un pied dans le Paradis.

Alors, c’est la JOIE qui vient à nous. « En toi, dit le Père, Je trouve ma joie. »

Le Père nous offre de partager sa joie. Il nous invite à nous réjouir avec lui.

Quelle est cette joie du Père ? C’est celle de rassembler tous ses fils grâce au Fils qui les recherchera en son nom. Le chapitre 15 est central dans S.Luc : »Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue. Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n ‘ont pas besoin de conversion. » Luc 15,5

Car, tant qu’à faire, puisque cet étrange Fils s’est solidarisé avec tous ces hommes pécheurs, le Père considère qu’eux aussi sont pleinement ses fils . C’est là qu’il faut faire intervenir S.Paul dans sa lettre à Tite : »Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes…Il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa MISERICORDE… » Encore un thème majeur de l’évangile de Luc : la miséricorde infinie de Dieu en Jésus. « Par le baptême, il nous a fait renaître…et nous a renouvelés dans l’Esprit-Saint, afin que, rendus justes par sa grâce,, nous devenions en espérance héritiers de sa vie éternelle. »

C’est toute cette deuxième lecture qu’il faudrait lire en détail. Elle nous montre les retombées pour nous  de ce baptême du Christ. Mais nous n’avons pas le temps de le faire ici. Qu’importe ! Baptisés dans le Christ ,nous avons en nous l’Esprit qui crie en nous : Abba, Père. Il nous rappelle toutes choses. La semaine n’est-elle pas faite pour ruminer et se nourrir des textes du dimanche ?

Mais il faut CONCLURE :

Laissez-vous consoler, mon peuple. Mon peuple français, trêve d’autoflagellation!

Faites des choix, bougez-vous, comme dit le Baptiste. Sans désir, Dieu ne peut rien pour vous.

Ne dites pas : «Je n’arrive pas à prier ». Faites silence et écoutez la voix qui murmure en votre cœur : « Toi, tu es mon fils Bien-aimé ! » vous verrrez , ça change tout quand on comprend que Dieu nous cherche et que ce que nous attendons a déjà commencé.

Enfin soyez dans la joie, la joie du Père, du Fils et de l’Esprit, aujourd’hui.

Et répétez-vous ce verset du psaume 103 pour voir clair dans vos états d’âme :

« Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à la poussière ; (mais) tu envoies ton Souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre. »

 

 

 

 

 

16 janvier 2019 |

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