Il se trouve que dans plusieurs groupes, nous avons eu la chance de partager autour de ce chapitre de St Jean et de dire comment nous le recevions. Finalement, nous en sommes arrivés à surtout nous poser une question inhabituelle – donc, nous vous la posons à vous aussi : pourquoi Jésus reste-t-il sur place là où il est, quand Marthe et Marie lui envoient un messager pour le faire venir auprès de Lazare ?
La question se redouble lorsqu’on s’aperçoit que Jésus, toujours immobile, reste en route, hors du village où tout le monde l’aurait attendu comme un sauveur.
Nous avons vraiment cru comprendre que Jésus ne voulait pas être pris pour un « faiseur de miracles » et encore moins pour un magicien… Pour quelqu’un qui résoudrait nos problèmes à notre place sous prétexte que nous ne pourrions rien faire. Justement, il ne veut pas jouer au sauveur, ni répondre à notre place.
Par ricochet, l’immobilité de Jésus nous a conduits à regarder les mouvements dans cet évangile. Le plus notable est celui des gens de Jérusalem qui enveloppent Marie de leur compassion et courent après elle comme ces vastes ombres où la silhouette s’amplifie au soleil couchant.
Ce mouvement-là est presque cinématographique comme un grand travelling. Mais il y avait d’autres auparavant. Par exemple lorsque l’apôtre Thomas se prendra pour Athos, Portos ou Aramis et, dans un joli mouvement de menton, lancera à ses amis : « Allons et mourons avec lui ».
Mais Thomas, ce mousquetaire avant l’heure, nous a mis sur une nouvelle piste de questions : quels sont les liens des mouvements et du mourir ?
Or il se trouve que, justement, ce chapitre de l’Évangile commence en rappelant le geste de Marie qui a versé du parfum sur les pieds de Jésus. Et quand tout le monde, Judas en tête, assassine Marie de reproches, c’est Jésus qui leur dit « elle a fait cela comme un embaumement pour ma mise au tombeau ».
Le geste de Marie est en lien avec la mort ; l’héroïsme de Thomas est en lien avec la mort ; les gens de Jérusalem entourant Marie courent au cimetière en pensant qu’elle va y pleurer ; Marthe et Marie, à tour de rôle, quand elles s’adressent à Jésus lui parlent de la mort.
On dirait que tous, chacune et chacun, n’ont que les larmes et la mort en tête.
Nous revenons alors à nos questions du début : L’immobilité de Jésus ne serait-t-elle pas le signe qu’il a, lui, autre chose en tête — et très précisément qu’il a en tête celui dont il a parlé depuis le début : son Père ? Alors, pour lui, la cohue et le brouhaha ne sont que des embouteillages qui entravent la route vers l’essentiel, vers le seul vrai, vers le seul vraiment vivant.
(Après tout c’est le même Jésus qui venait de dire à la même Marthe qui se dépensait tant et plus pour le bien recevoir : « Marthe, Marthe, tu t’agites pour bien des choses, mais un seul est nécessaire »).
Premier blocage sur la route de Jésus : le trop-plein, l’absence de vide. Là où il n’y a pas de place pour un autre. L’absence d e Souffle.
Puis, en avançant de question en question, il nous a paru clair qu’un autre obstacle s’était présenté sur la route de Jésus : il est contraint à l’immobilité si l’on ne se met pas à l’œuvre soi-même en soi-même. Le couple des deux sœurs envoie un messager auprès de Jésus. Elles sont dans la peine mais ne se déplacent pas. Quand Marthe parlera avec Jésus, elle lui récitera d’abord des phrases apprises dans son catéchisme. Et c’est Jésus qui devra lui demander ce qu’elle croit, elle. De la même façon, Jésus n’entrera dans le village de Béthanie qu’après le mouvement de Marie pour aller le chercher. Elle n’est plus restée enfermée dans sa maison. Elle est sortie vers lui, elle lui a parlé personnellement, elle lui a parlé de ce frère qu’elle aimait. Elle, en tant qu’elle-même.
Et là, Jésus devient lui-même. L’émotion lui serre la gorge, les larmes lui viennent
C’est du fond de lui-même qu’il va pouvoir crier, face à la mort, d’une voix forte :
« Lazare, viens dehors ! » — comme, au premier jour de la création, le Père Éternel avait crié à la face du néant le nom de tout ce qu’il appelait à vivre.
Et le même Père, dans peu de temps, juste dans deux semaines, appellera dans sa Vie Éternelle d’Amour ce Jésus qui aura pris la place de Lazare dans son tombeau.
Qui aura pris notre place dans nos tombeaux et qui pourra nous mettre en communication directe avec son Père par la résurrection.
Puisque Dieu sera devenu notre Père. Et que nous aurons reconnu qu’il est notre Père. Et que nous saurons que nous sommes sœurs et frères. En lui et par lui vivants.
Amen
père dominique nicolas