Homélie du dimanche 5 mars ( ler dimanche de carême)

par Claude Compagnone, diacre

 

Nous sommes dans le Jardin d’Éden. La nature créée par Dieu est luxuriante. Elle est faite d’une immense diversité d’être vivants, et Adam et sa femme – qui sera plus loin appelée Ève – font partie de ces êtres vivants. Dans ce jardin, l’homme et la femme vivent et ne connaissent pas la mort. Dans ce jardin immense, deux arbres parmi tant d’arbres focalisent l’attention du narrateur : l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

 

L’arbre de vie est celui de la vie pleine, abondante et éternelle. Dans le lien que l’arbre établit entre la terre et le ciel, entre la matière et l’esprit, cet arbre de vie est la conscience de la vie donnée en abondance. En goûtant des fruits de cet arbre, Adam et Ève peuvent rentrer en pleine conscience de cet immense don de la vie que Dieu fait à l’homme. Adam et Ève vivent une vie pleine et entière, en sachant qu’ils sont à leur place et qu’à cette place ils reçoivent beaucoup d’attention, d’amour, de joie, d’émerveillement sur le  monde, au-delà de toute espérance. Dans notre vie nous traversons de tels moments. Nous savons que nous en sommes profondément nourris, et que ce sont ces moments et leurs souvenirs qui donnent goût à la vie, et qui nous permettent d’espérer, de nous ouvrir aux autres et de donner.

 

L’arbre de la connaissance du bien et du mal est celui, non pas d’un savoir sur le bien et le mal, mais d’un lien physique et psychique avec le bien et le mal. Il est l’arbre du pouvoir absolu. Être en lien avec le bien et le mal, c’est être en lien avec la totalité des choses, dans leur côté lumineux mais aussi dans leur côté sombre. C’est pouvoir être embarqué dans le calcul pour tirer les choses à soi, dominer l’autre et la création, manipuler les choses et les gens à son avantage. Dans certaines situations de notre vie nous savons bien que nous pouvons aussi nous laisser piéger par des mauvais calculs, nous pouvons être enfermés dans des idolâtries, coincés dans des désirs.

 

Le serpent, le rusé, cet embrouilleur d’esprit, se présente comme un interlocuteur qui embobine. Il développe le mensonge en mélangeant dans son argumentation du vrai au faux pour tromper l’autre. Il est un manipulateur. Plus que le tentateur, il est la tentation. Il demande à Ève pourquoi elle n’explore pas tous les possibles du Jardin d’Éden. Le Serpent est le menteur qui fait passer Dieu pour un menteur, pour un Dieu qui tiendrait l’homme à sa botte. « Mais non ! Prends ce fruit, Ève ! dit le serpent. Dieu t’a menti sur les conséquences de ton geste. Tu ne mourras pas ». Ève l’écoute et elle accepte alors l’idée que Dieu puisse être un menteur.

 

C’est à cet endroit que se noue tout le drame du récit. Ce n’est pas lorsqu’ Adam et Ève consomment le fruit. Non ! Tout bascule quand Adam et Ève acceptent l’idée, soufflée par le serpent, que Dieu puisse être un menteur. Adam et Ève défigurent Dieu. Une rupture s’opère. Adam et Ève considèrent alors qu’ils se suffisent à eux-mêmes ; ils brisent leur relation à Dieu. Et que découvrent-ils suite à cela ? Une chose qui était avant totalement insignifiante : ils sont nus ! Cette richesse qui leur était donnée, qui les entourait, et d’une certaine façon les habillait, ils ne la voient plus. Ils sont nus, vulnérables et seuls.

 

Le Christ, quant à lui, dans le récit de Matthieu, se trouve dans un désert aride, inhospitalier et inhabité. Plus de jardin luxuriant, ici, mais la présence de la lutte et du manque. Le Christ dans ce désert est en lien avec le Père. Mais ce lien, de la même manière que pour Adam et Ève, va être mis à l’épreuve par le tentateur.

Le Christ après un jeûne de quarante jours a faim. Le Christ est un homme dans le monde des hommes. Il est éprouvé physiquement par les choses et il a faim. Il ne s’agit pas ici de la petite faim que l’on éprouve après avoir sauté un ou deux repas, mais de cet état de détresse du corps qui n’est plus capable de fonctionner correctement. Les forces sont parties. Se tenir debout est difficile et mettre un pas devant l’autre est un supplice. La perception est brouillée : on entend et voit des choses qui n’existent pas et on est insensible à certaines choses qui, elles, sont bien là. Le raisonnement est défaillant, les idées se bousculent sans logique dans la tête.

 

Le Christ est alors dans un état de grande faiblesse. Et c’est là que le tentateur, l’embrouilleur d’esprit, le menteur, arrive. Le tentateur est la tentation. Il s’y prend à trois fois. Il attaque aux points de faiblesse. Il mélange là encore le vrai et le faux. Reconnaissant d’une certaine manière que Jésus est le Fils de Dieu, utilisant même la parole de Dieu, le tentateur veut que le Christ bascule dans une action qui le couperait de sa relation au Père.

 

Il veut dans les deux premières tentations que le Christ oblige, et la nature, et le Père, à se comporter comme bon il lui semblerait. Il veut que le Christ soit quelqu’un qui torde le bras aux choses. Il ne veut pas que le Christ soit un serviteur du Père et des hommes, mais il veut qu’il se serve lui-même des choses et du Père. Il transformerait ainsi des pierres en pain et jouerait avec Dieu pour que ce dernier lui sauve la vie s’il sautait dans le vide. La troisième tentation se fait encore plus explicite : au-delà de couper sa relation au Père, il s’agit pour le tentateur que le Christ se lie au mal. Au-delà de connaître le bien et le mal, il s’agirait pour lui de choisir le mal.

 

A cet instant du récit, à cet instant de la vie du Christ, tout peut alors basculer. La tension est au plus haut. Et là, contrairement à Adam et Ève, le Christ reconnait le tentateur comme étant le mal, le manipulateur. Il le nomme et le refuse : c’est Satan. Dans une parfaite opposition avec le récit de la genèse, il s’ensuit en conclusion, non pas une dépossession de ce qui entourait le Christ, mais un don supplémentaire. Adam et Ève se retrouvent nus. Le Christ, lui, ne demandant rien pour lui, restant serviteur jusqu’au bout de l’épreuve, reçoit le service des anges.

 

Ce n’est qu’à partir de ce choix radical que le Christ va alors entamer son ministère public. Il a fallu cette épreuve, ce choix pleinement personnel, pour qu’il soit fortifié pour sa mission. Ce moment de la tentation du Christ est un moment très particulier dans l’évangile. Il présente la possibilité d’une bifurcation radicale dans la vie du Christ. Même lui, l’aimé du Père, est amené à choisir entre le bien et le mal. De son choix éclairé de son lien avec le Père découlera la puissance de son action.

 

Sœurs et frères, nous rentrons en période de Carême. Cette période n’est pas une période de privation, mais elle est une période de renforcement de notre lien à Dieu. Elle est une période où, par une plus grande disponibilité et parfois la traversée d’épreuves, nous pouvons plus clairement exprimer personnellement notre engagement à suivre notre Seigneur Jésus Christ. Nous pouvons nommer les choses et refuser celles qui conduisent au mal. Pour ce faire, donnons nous du temps. Comme la prière d’alliance du MEJ nous le dit à partir des cinq doigts de la main : stop ! prenons le temps de nous arrêter et de discerner. Notre foi, notre relation à Dieu et notre capacité d’agir pour le bien en sortiront renforcées.

 

Amen

5 mars 2017 |

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