Il y a un homme au bord de la route, sur le bas-côté.
Aujourd’hui encore,il y a toujours beaucoup de personnes au bas côté des routes.
Cela fait réagir fortement. Et pardonnez-moi : de façon irrépressible, je n’ai pas pu m’empêcher d’entendrons résonner en moi un chant de 1986 qui accompagnait la naissance des restos du cœur :
« Aujourd’hui, on n’a plus le droit / Ni d’avoir faim, ni d’avoir froid / Dépassé le chacun pour soi »…
En fait, je ne suis pas sûr que d’avoir ou froid ou faim ait jamais été un droit… Mais surtout ce cantique laïc qu’est la chanson, dans ses raccourcis a tout de même voulu exprimer le devoir de réagir et de s’insurger contre un état de fait scandaleux.
Et la troisième phrase reste toujours aussi vraie : « dépassé le chacun pour soi ».
Cette démarche humanitaire, nous la partageons spontanément en recevant l’Évangile d’aujourd’hui. Et saint Marc, et saint Luc avec la même histoire, comme après eux saint Jean, — — l’Évangile est sensible au caractère très humain de Jésus, à sa tendresse et à son attention aux pauvres et aux exclus.
Tout disciple de Jésus aura lui aussi devoir de s’insurger face aux situations inhumaines, simplement parce qu’il est humain. Et en cela, notre humanité est forgée ou confortée par les contestations sociales des prophètes et des psaumes : ils disent « Dieu est bon pour les pauvres, il n’oublie pas le cri des malheureux » (psaume 9 & 10 ) ; ils disent aux riches « votre argent est pourri » (paroles d’Amos, le bouvier ) …
Mais cela ne suffit pas. L’attitude de Jésus est bien plus complexe. Il est surprenant –comme toujours. Pas un humanitaire en tout cas.
Il fait appeler l’homme aveugle. Il le fait venir. Il ne se jette pas à son secours comme le ferait quelqu’un d’affectivement bouleversé. Comme s’il se refusait à enfermer l’homme Bartimée derrière le barreau de ses limites. De l’une d’elles.
Pour Jésus, manifestement, l’homme ne se résume pas à ses barreaux. Pour Jésus, toute personne, toute créature, est infiniment plus riche qu’elle ne paraît : il y a en elles un potentiel de vie et de grâce qu’il suffit d’aller chercher.
Qu’il faut aller chercher : c’est cela, offrir le salut aux humains.
Manifestement, Jésus avait bien capté le problème : le signe en est que Bartimée bondit de joie, laisse tomber le vieux manteau de son passé et rejoint Jésus… Qui l’attendait.
Un dialogue s’amorce, et une phrase unique de Jésus fait centre, fait cœur : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Sa question fait jaillir de l’intérieur la puissance de ce que l’homme attendait depuis toujours, l’essentiel de son désir, de son vouloir-vivre. L’Homme crie son besoin d’avenir et sa liberté.
Bien sûr, si l’Évangile est Évangile est bonne nouvelle, c’est parce que nous connaissons que la question de Jésus est pour nous.
Et notre liberté a toujours deux réponses possibles :
Ou bien : merci, je n’ai besoin de rien
Ou bien je m’émerveille de ce que Dieu se mette à notre service, et, je fonce et j’y vais en toute vérité et en toute confiance. Ma seule confiance sera dorénavant Jésus, et Jésus seul.
Et là, je suis obligé de vous demander pardon une deuxième fois, et d’aller jusqu’au bout de notre rencontre avec Jésus : car en vie chrétienne, prendre modèle sur Bartimée et CRIER son besoin, cela s’appelle : les sacrements.
Le Baptême : je crie le besoin de mourir à la vétusté pour accéder à une terre promise et désirée –comme sera la Résurrection par la croix de Jésus
La Confirmation : le Père appelle à partager la mission d’aller aux exclus comme Jésus juste après son baptême
L’eucharistie et la Communion : nous crions avec Jésus le besoin d’admirer le Dieu-Père libérateur pour le peuple de Pâques
Le Mariage : pour apprendre à répondre chaque jour à bâtir à la manière dynamique de Jésus, qui a donné tout lui-même pour donner la vie.
Le sacrement de l’Ordre : pour apprendre à servir comme Jésus
Celui de la Confession : pour crier le besoin de voir, entendre, penser, parler et agir, comme Jésus — et d’accueillir l’avenir et le créer
Sacrement des malades : pour offrir notre fragilité en celle de Jésus
J’en finis alors avec cette foule où nous apprenons ce que signifie marcher avec Jésus, c’est-à-dire faire Église. Dans un premier temps, elle a le droit de se tromper et de négliger les bas cotés parce qu’elle veut rester toute seule avec le Maître. Mais quand son Seigneur le lui dit, elle se convertit et transmet aux personnes abandonnées « courage, il vous appelle ! »…
C’est d’ailleurs par ces mots que les apôtres termineront la première lettre qu’ils auront écrite aux premiers chrétiens, après leur premier concile (c’est dans le livre des Actes ou chapitre 15).
De Jésus, l’Église reçoit en tout temps mission pour encourager les marges.
Il restera, juste après la rencontre de l’aveugle Bartimée, ce que raconte Luc à propos de la ville de Jéricho où se dirigeait Jésus pour la traverser en toute hâte, — parce que Jéricho était une ville bâtie sur la corruption– Il n’a pas pu s’empêcher de perdre son temps à s’arrêter sous un arbre pour dialoguer avec un petit bonhomme perché dedans , que nous aimons bien : c’est-à-dire Zachée.
Lequel tient sans doute un peu de nous aussi, tout comme nous tenons de Bartimée.
Bénie soit l’Église qui nous l’a fait savoir et nous a transmis ces évangiles « à la gloire de Dieu et le salut du monde »
AMEN