par Claude Compagnone, Diacre
Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 (54), 3-4, 5, 6.8 ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37
« Vous n’obtenez rien parce que vous ne demandez pas ; vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs. » Voici donc les derniers mots de la lettre de St Jacques que nous venons de lire. Ces mots sont sévères et nous percutent violement. Ils ne nous laissent pas indemnes car c’est bien aussi de nous dont il s’agit.
Nous ne saurions ainsi pas demander à Dieu ; et quand nous demandons, nous lui demandons des choses qui ne sont pas bonnes. Ainsi se dessinent le contour de l’individualisme et de l’égoïsme qui nous habitent et contre lesquels il nous faut continuellement lutter. Individualisme, d’un côté, quand nous pensons que nous nous suffisons à nous-mêmes et que nous n’avons rien à demander à Dieu et aux autres. Soit que nous pensions que les choses nous sont dues, au regard de notre grande qualité ; soit que nous estimions que nous ne valons rien et que, de ce fait, Dieu ne peut pas s’intéresser à nous. Nous n’avons alors pas besoin de Dieu, ni des autres. Egoïsme, d’un autre côté, lorsque demandant à Dieu, nous ne le faisons alors que pour des choses qui nous arrangent nous, pour des choses qui, si elles sont bonnes pour nous, sont mauvaises pour les autres.
L’individualisme et l’égoïsme dessinent ainsi un abime, vers lequel nous pouvons glisser et nous perdre, coupés de Dieu, coupés des hommes et coupés de l’être que nous pourrions être, et donc, en fin de compte, coupés de nous-mêmes. En tant que chrétien, il me faut donc être constamment en éveil des pentes faciles de cet individualisme et de cet égoïsme, de cette recherche de la meilleure place, la plus confortable et la mieux reconnue, qui imperceptiblement me font glisser.
Chose étrange que cette question de la meilleure place, puisque nous la retrouvons aussi chez les disciplines qui ont tout quitté pour suivre le Christ. Nous conférons aujourd’hui à ces hommes une telle autorité, que l’idée qu’ils aient pu se chamailler là-dessus nous parait hautement surprenante. On ne peut les suspecter d’individualisme et d’égoïsme, et pourtant ils sont bien eux-aussi confrontés, comme tout homme, à l’attirance de cet abime.
Ainsi, ces disciples ne comprennent-ils rien quand le Christ leur dit qu’il sera mis à mort et qu’il ressuscitera. Ils ont peur de l’interroger nous dit le texte de l’évangile. Mais peur de quoi ? D’être confrontés à un mystère insondable ? D’être face à une réalité du Christ autre que celle qu’ils imaginent ? De découvrir qu’ils risquent de tout perdre dans la mort du Christ ? Par contre, ce dont ils vont discuter en chemin, lorsque le Christ est un peu en retrait, c’est de savoir lequel parmi eux est le plus grand des disciplines. Là, on n’est plus dans la perte que le Christ leur annonce dans sa mort, mais plutôt dans le gain de la reconnaissance qu’ils peuvent tirer de leur investissement avec le Christ. Et ça, ça les intéresse. Cette question bien évidemment les amène à réfléchir sur les critères qu’il faut prendre en compte pour déterminer qui est le plus grand et qui est le plus petit d’entre eux. On peut imaginer que certains disciples aient avancé comme critère le nombre de jours passés avec le Christ, d’autres le nombre d’heures consacrées à la prière, et d’autres encore le nombre de missions accomplies.
Remarquons alors la douceur du Christ. Ils ne les admonestent pas en leur disant qu’une telle conversation ne vaut rien. Pourtant les disciples ne sont pas particulièrement fiers de ce type de conversation, puisque lorsque le Christ leur demande de quoi ils parlaient, ils n’osent plus rien dire. A ce moment-là, le Christ, sachant de quoi ils parlaient, ne leur dit pas qu’il ne peut pas y avoir de grandeur ou de petitesse entre eux. Non, il leur fait connaître le seul critère qui compte dans l’établissement de la grandeur : la façon d’être au service des autres, et plus particulièrement au service des plus petits. Il prend un enfant, l’embrasse (car il n’en fait pas un objet), et le place au milieu d’eux pour dire l’accueil qui doit être le leur envers les personnes les plus fragiles.
Le Christ, ainsi, ne brise pas le fait qu’il y ait des choses plus grandes que d’autres mais il retourne complétement l’ordre de ce qui est grand et de ce qui petit. Il subvertit l’économie des grandeurs. Pour lui, la seule grandeur possible est donc une grandeur qui s’ignore et qui n’est pas recherchée pour elle-même. La seule grandeur possible est celle qui restera au regard de Dieu dans notre engagement auprès des autres. Elle ne donne aujourd’hui aucun droit, aucun prestige. Elle disparait dans l’épaisseur de la fierté d’être un enfant de Dieu.
Combien, sœurs et frères, êtes-vous grands dans votre engagement à la suite du Christ ; combien êtes-vous grands quand vous luttez pour la justice et la paix ; combien êtes-vous grands quand vous êtes accueil pour les plus petits. Le Christ vous le dit : c’est alors Dieu que vous accueillez.
Amen