Décidément, les textes de la Parole sont dérangeants, ils nous bousculent et c’est tant mieux. Et nos bons pères du concile Vatican II qui ont choisis les lectures des célébrations liturgiques connaissaient si bien leur ensemble qu’ils n’ont pas hésités à mettre en parallèle les textes de l’ancien et du nouveau testament, comme aujourd’hui avec la lecture du livre des Nombres et celle de l’évangile de Marc. Vous avez bien entendu : « L’Esprit de Dieu repose-t-il en chaque membre de la communauté ou seulement sur quelques-uns qui en sont les chefs ? Est-il possible de ne pas être un membre bien connu et fidèle du groupe des pratiquants, et, cependant, agir chrétiennement, comme dit notre évangile ? Nous devons donc nous demander aujourd’hui : « Qui appartient au Christ ? Qui est avec lui ? »
Jésus nous dit deux choses à ce sujet. Premièrement, faites attention à ne pas tomber «dans l’esprit de boutique». Jean a été choqué de voir quelqu’un qui n’est pas de l’équipe restreinte des apôtres, ni même du groupe plus large des disciples qui, non seulement parlait au nom de Jésus, mais chassait les démons en son nom. Jean dit : «Ce n’est pas normal. Il faut l’en empêcher. Nous, on marche avec Jésus, on est l’Église patentée. Lui, il n’est rien». Comme nous, aujourd’hui, on dirait : «Nous, on va à la messe, on a été baptisés. Ceux qui ne sont pas avec nous, ceux qui ne font pas partie de l’Église, on ne voit pas pourquoi ils auraient le droit de parler au nom de Jésus. On ne voit pas pourquoi ils chasseraient les démons». Jésus nous répond aujourd’hui : «Faites attention à l’esprit de boutique. Il n’est pas question d’appellation contrôlée, ni de label, en ce qui concerne l’action de l’Esprit dans le monde. l’Esprit souffle où il veut et il dépasse largement les frontières de l’Église».
Donc, d’abord, savoir reconnaître qu’au service du Royaume de Dieu, c’est-à-dire de la justice, de la paix, de la réconciliation entre les hommes, il y a, Dieu merci, beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes, qui ne sont même pas croyantes et qui, aujourd’hui, avec les chrétiens, mieux que les chrétiens peut-être, travaillent dans l’esprit de Jésus. Et des gens qui chassent les démons, vous en connaissez, nous en connaissons tous, et qui ne sont pas nécessairement des chrétiens patentés. Vous connaissez des personnes qui chassent ces démons que sont l’injustice, le racisme, la violence institutionnelle. Oh, ce n’est pas très spectaculaire, la plupart du temps. Et plus près de nous, dans nos familles, il y a des gens qui luttent contre ces démons que sont la jalousie, la discorde, l’envie. Eh bien, cette tâche n’est pas l’apanage des chrétiens. Ne soyons pas de ceux qui ont des œillères. Il n’y a qu’un seul critère valable : «Celui qui n’est pas contre nous est avec nous».
Jésus nous dit aujourd’hui une deuxième chose, tout aussi importante que la première : le seul critère d’appartenance à Jésus et au Royaume, c’est la volonté qu’on a de se libérer des idoles. C’est, dans notre évangile, toute cette histoire de «couper» et «d’arracher» sa main, son pied, son œil.
Je sais bien qu’il ne faut pas prendre cela à la lettre, d’autant plus que ce n’est pas ma main, ni mon pied, ni mon œil qui m’entraînent au péché, mais ce qui se passe dans ma tête. Donc, ce n’est pas une question littérale d’arracher. Mais, nous dit Jésus, il y a des coupures nécessaires, des choses à arracher dans sa vie. Il s’agit de la lutte contre les idoles qui règnent sur notre monde, et même dans notre cœur. Il n’est pas question de se mutiler ou de mutiler autrui pour le mal accompli. Ces paroles doivent être prises dans leur sens spirituel. Couper son œil, sa main ou son pied, signifie plutôt faire de son œil, de sa main ou de son pied, un lieu d’Alliance entre l’homme et son Dieu. En effet, nous coupons notre œil chaque fois que nous décidons d’utiliser notre esprit critique non pas pour regarder ce que l’autre fait, condamner ses actes, mais plutôt pour voir ce que l’autre est et comprendre ses actes à partir de ses blessures et de son histoire. Nous coupons notre main, chaque fois que nous décidons d’utiliser nos mains non pas pour rabaisser, repousser et écraser, mais pour relever, accueillir et élever. Relever, c’est pardonner l’autre, en lui disant qu’il vaut plus que ce qu’il a fait de mal, qu’il vaut plus que ce qu’il a raté. Nous accueillons l’autre chaque fois que nous n’avons pas besoin de nous défendre face à lui et que nous ne nous sentons pas menacés dans notre identité. Nous élevons l’autre chaque fois que nous l’aidons à croire en lui-même, et à se faire confiance. Nous coupons notre pied, symbole de liberté, d’autonomie, chaque fois que nous décidons d’utiliser notre liberté d’une manière responsable.
Ne sommes-nous pas comme Josué et Jean qui veulent, en quelque sorte garder l’exclusivité de Dieu en nous repliant sur nous-mêmes? La Parole de Dieu fait-elle écho dans nos vies? Jésus nous invite à nous retrousser les manches pour mettre en pratique ce que nous proclamons. Nous sommes tous appelés à porter la Parole de Dieu par nos vies, par nos actions et à l’occasion par notre propre parole. Pas de coups d’éclat, mais l’humble témoignage d’une vie personnelle la plus droite et la plus claire possible.
Le Seigneur attend de nous un véritable retournement : que notre main soit toujours tendue vers Dieu et vers les autres, que nos pieds marchent à la suite de Jésus, que nos yeux voient les autres avec le regard même de Dieu, un regard plein d’amour et de tendresse.
Amen.