par Claude Compagnone, diacre
Ac 4, 8-12 ; 1 Jn 3, 1-2 ; Jn 10, 11-18
Qui donc est le Christ pour nous ? Qui sommes-nous pour lui ? Qui sommes-nous en tant que peuple ? Qui sommes-nous dans notre relation individuelle à lui ? Voici des questions massives que j’ai pu croire, à un moment, jeune chrétien, largement réglées. On ne peut pas s’engager à suivre le Christ sans y avoir répondues à un moment ou un autre, avec les moyens qui sont alors les nôtres.
Pourtant je me suis rapidement aperçu que penser avoir résolues complétement ces questions était une douce illusion, et de plus, une illusion peu fertile. Ça serait penser que nous avons fait une bonne fois pour toute une expérience, l’expérience de l’amour de Dieu pour nous, et qu’ensuite tout reste stable, enfermé dans le coffre du souvenir.
Or les choses sont bien plus vivantes et dynamiques que cela : nous grandissons, nous vieillissons, nous sommes confrontés à tous les événements de la vie, ses joies et ses épreuves, nous faisons des expériences multiples : le monde change autour de nous et nous changeons ainsi que tous ceux qui nous entourent. Dieu se dit dans toutes ces expériences successives, si tant est que nous soyons capables d’ouvrir nos yeux, nos oreilles et notre cœur ; si tant est que nous sachions recevoir la vie qu’il donne dans tous ces moments en abondance ; si tant est, qu’au milieu des épreuves, nous sachions garder l’espérance.
Avec l’usure du temps, je découvre donc mieux qui est le Christ, de la même façon que je découvre mieux dans ma vie qui sont pleinement mon épouse, nos enfants, notre famille, nos amis. Je les découvre à travers l’épaisseur de l’accumulation des expériences heureuses ou plus difficiles vécus en commun. Je sais un peu mieux qui ils sont mais je ne sais évidemment pas qui ils sont entièrement, car ils sont aussi autres choses que ce que je connais d’eux, ailleurs, avec d’autres. Il y a une large part d’inconnu en eux qui est un gisement potentiel de découvertes et de vie futures.
Saint Jean nous le dit : « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. » Nous pouvons lire ce verset du bout des lèvres, dans une routine bonne enfant, ou alors le prendre, au contraire, avec la force d’un uppercut. C’est maintenant ! Maintenant et pas seulement demain, que nous sommes fils de Dieu. Et c’est un maintenant qui dure, dans lequel les expériences peuvent s’accumuler et s’agréger, dans lequel la connaissance des choses se construit.
Saint Jean dit aux premiers Chrétiens que c’est déjà dans cette vie-ci, dans l’écoulement de nos expériences du flot de le vie présente, que nous pouvons vivre en lien avec Dieu. Il nous dit en quelque sorte, de sortir de la méprise que ce lien filial avec Dieu ne serait vécu que dans la vie de l’au-delà.
C’est cet amour paternel et ce lien filial que l’évangile proclament dans la métaphore du berger et du troupeau de Saint Jean. Un amour paternel et un lien filial actuels, présents, maintenant. Et plus précisément que de parler de berger, St Jean nous parle d’un Bon berger pour affirmer la particularité du berger qu’est le Christ. Il n’est pas celui qui s’enfuit, par peur d’être blessé ou tué quand les brebis, dans leur vie ordinaire, sont en danger, car attaquées par le loup. Il est celui qui reste avec les brebis, dans le troupeau, pour les défendre. Il reste au plus près du troupeau pour pouvoir agir rapidement. Il ne maintient pas de distance protectrice. Il s’expose directement. Il le fait au risque de sa vie pour la vie des brebis. Ses brebis ne sont pas de simples objets économiques pour lui : elles comptent pour lui ; elles sont tout pour lui.
« Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis », nous dit le Christ dans Saint Jean. De cette vie commune, de cet engagement commun des brebis et du berger, nous voyons éclore une vie de relations et de connaissances réciproques. Et nous voyons que cette vie de relations et de connaissance réciproque est le propre de Dieu. Le Christ la vit avec le Père, et parce qu’il la vit avec le Père il peut la vivre avec ses brebis. Par le Christ nous connaissons le Père et par le Christ le Père nous connait.
Nous avons l’assurance par Saint Jean d’être le troupeau du Christ et de savoir que le Christ est à nos côtés pour nous défendre ; nous avons l’assurance que nous comptons plus que tout pour lui ; nous avons l’assurance qu’il nous offre une vie de relation avec lui et de connaissance réciproque. Cette vie de relation et de connaissance réciproque est à vivre en confiance, maintenant et de manière durable. Elle nous est offerte, à chaque instant. A nous de l’accepter. Nous en découvrons et en découvrirons pas à pas les contours dans le surgissement de la vie et le dynamisme du temps qui passe.