« Faites ceci en mémoire de moi ! »
Comment les premiers chrétiens se sont-ils réapproprié la demande de Jésus ?
Après la mort du Christ, la mise en œuvre de la mission repose sur des petits groupes chrétiens dispersés et éclatés dans les grandes villes de l’empire romain. Ces communautés de 6 à 12 personnes, au premier siècle, pourrait être estimée à moins 2% de la population de l’empire vers 250 et à un peu plus de 10% au moment de la conversion de Constantin vers 312(I). Jusqu’à cette date, le christianisme est interdit légalement, et les chrétiens se réunissent dans des maisons privées autour d’un chef de communauté.
Eucharistie et repas communautaires
Deux rites coexistent au premier siècle, l’un inspiré par les récits de Luc et de Paul, est une invitation à répéter une cérémonie mémorielle, le repas pascal «recatégorisé »par Luc, en un repas d’alliance», qui préfigure le repas dans le Royaume de Dieu (Luc, 14, 15); elle est fondée sur les paroles du Christ lors de son dernier repas avec les disciples avant la Passion : « Faites ceci en mémoire de moi ». L’autre, s’apparente à un repas communautaire, convivial, nommé «agapes », à l’image des repas pris avec le Christ après sa résurrection (Cf. Luc 24 et Jean 21).
« La lettre de Paul (1 Co 1,2) nous éclaire sur le sens du repas communautaire quand il rappelle les exigences du « repas du Seigneur »…Manger n’est pas sans conséquence théologique. Prononcer la bénédiction sur la coupe et rompre le pain, c’est être en communion au sang et au corps du Christ. ..C’est bien un trait caractéristique du mouvement de Jésus et du christianisme primitif de mettre les repas communautaires au centre de la vie sociale et rituelle, sans que l’on puisse vraiment distinguer ce qui serait un repas simplement convivial et ce qui serait un repas purement cultuel (puisque) tous les repas sont chargés d’une valeur cultuelle (II)» Tous les repas peuvent aussi être occasion d’enseignement (Actes 27, 33-36). Ils sont pris vers 15 heures. Dans les communautés judéo-chrétiennes, il se tient à la fin du sabbat, le samedi soir ou durant la nuit de samedi à dimanche, sauf quand les rassemblements nocturnes sont interdits. Le dimanche n’est devenu un jour de repos qu’au IV siècle.
Le tournant du 2°- 3° s.
« Ce que les Actes mettent en récit, la Doctrine des douze apôtres ou Didachè, l’érige en règles (III)
Dans la Didachè, l’Eucharistie n’est pas encore le repas symbolique et purement liturgique qu’elle deviendra au cours du deuxième siècle.(…) C’est chez Ignace d’Antioche, vers l’an 100, que le terme « eucharistie » prend « un sens technique et signifie la commémoration liturgique de la Cène au cours de laquelle les (offrandes) sont converties au corps et au sang du Christ pour être pris en nourriture au moment de la communion » (Bauer, p.33) .
Il faut encore attendre cinquante ans pour avoir le premier témoignage écrit qu’elle forme une « célébration totalement autonome, détachée du repas communautaire ». Et c’est Justin qui, dans sa Première Apologie (écrite autour de 150), en fait les premières mentions écrites. Au chapitre 65, il raconte l’eucharistie baptismale et au chapitre 67, il décrit l’eucharistie dominicale (IV). L’eucharistie est célébrée trois jours après les enterrements, qui sont sobres jusqu’au 3° siècle
Les chrétiens reprennent de la tradition judaïque la valeur religieuse du repas, la manière de la signifier par une bénédiction du pain et du vin, le partage du repas et une longue prière de bénédiction, mais ils introduisent aussi certains rites des banquets rituels grecs et romains pour prendre leurs distances avec les rites judaïques.
Aujourd’hui, la messe conserve bien une double dimension, celle mémorielle du geste du Christ qui donne son corps et son sang, et celle de la convivialité fraternelle : « Heureux les invités au repas du Seigneur », comme le souligne le pape François dans sa catéchèse (V) :
«Une invitation qui nous réjouit et qui, dans le même temps, incite à un examen de conscience illuminé par la foi»
Marie-Odile N.
POUR EN SAVOIR PLUS
(I) M.F.Baslez, Comment le monde est devenu chrétien, ed.CLD, 2008.)
(II) O. Bauer La Cène https://doi.org/10.7202/1040864ar
(III) La Didaché « Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les 12 apôtres » est un recueil de traditions différentes rassemblées probablement à l’intention des catéchumènes par un auteur anonyme. Le manuscrit a été retrouvé en 1873-75 dans la bibliothèque du patriarcat de Jérusalem avec d’autres manuscrits du 2° siècle.(Bauer, p.32)
(IV) Pour plus de précisions, lire Marcel Metzger, „Le dimanche, Pâques et la résurrection dans les Constitutions apostoliques“, Revue des sciences religieuses [Online], 81/2 | 2007
(V) Catéchèses du pape François sur l’Eucharistie : « La messe, source et sommet de la vie chrétienne ». Ed. Peuple libre, 2018, P.106.