par Francis Roy, diacre
Les Béatitudes en Matthieu que nous venons d’entendre, introduisent au fameux « discours sur la montagne » de Jésus, développé aux chapitres 5, 6 et 7 de l’Evangile. Savez-vous que Luc, a lui aussi inclus des béatitudes dans son évangile. C’est le début de son sermon sur la plaine au chapitre 6. L’étude de ses deux sermons est passionnante car elle montre bien les similitudes et les différences d’expression des deux évangélistes qui s’adressent à des publics différents. Entre les béatitudes de Mt et celles de Lc, les différences semblent plus nombreuses que les ressemblances. Mt contient neuf béatitudes, Luc n’en compte que quatre. Par contre, ce dernier fait suivre ses béatitudes de lamentations : quatre « malheureux vous » font pendant aux quatre « heureux vous ».
Que sont les Béatitudes ? Il s’agit d’une sorte de programme de vie permettant d’édifier son existence sur du solide, comme cette maison bâtie sur le roc qui termine le discours de Jésus, au chapitre 7 de Matthieu. Ce que Jésus nous dit là, c’est ce qu’il a expérimenté comme chemin de vie, et c’est pour cela qu’il nous le propose. Nous avons tous en tête les passages évangéliques où l’on voit Jésus vivre ce bonheur : celui de la miséricorde
quand il sauve de la mort une femme adultère ; son bonheur à raconter la parabole de la brebis perdue ; son bonheur à s’inviter chez le publicain Zachée. Et encore le bonheur de la pauvreté du cœur quand, fatigué, aubord du puits, il se fait mendiant d’un peu d’eau à une samaritaine ; le bonheur de sa relation au Père dans un abandon confiant. Le bonheur de sa faim de justice en tous ses actes pour nous libérer de ce qui nous emprisonne.
Le sel donne du gout aux aliments nous disent les deux versets qui suivent notre Evangile d’aujourd’hui, les béatitudes elles, donnent du gout à la vie. En relisant lentement ce merveilleux passage, est-ce que je peux dire quelle est la béatitude qui donne sens à ma vie ? Quelle expérience ai-je d’une pauvreté qui est source de richesse et de gout de vivre ? Cette pauvreté qui est un espace ouvert pour être rempli. Etre pauvres de cœur, ce pourrait être, par exemple, ne pas être obsédé par son patrimoine, son profit et ses avantages, cesser d’amasser, de mettre de côté, peut-être remettre en circulation une partie de son épargne, si on a la chance d’en avoir une, pour favoriser l’emploi.
Pleurer, ce n’est pas d’abord gémir sur soi, mais décaler son regard et sa générosité vers ceux qui souffrent bien davantage, les plus démunis, en regardant très loin vers ceux dont on ne parle plus guère actuellement mais qui continuent de mourir de faim à raison de plusieurs milliers par jour.
Avoir faim et soif de justice, c’est d’abord faire l’effort de se tenir au courant des réalités pour éviter les clichés trompeurs ; c’est choisir son bulletin de vote avec discernement non pour un meilleur confort ou un meilleur profit personnel mais pour ce qui semble meilleur pour le bien commun.
Etre miséricordieux, c’est peut-être ne pas enfoncer ceux qui ont fait des choix malheureux ou simplement risqués, mais les aider à se relever.
Etre purs, c’est bien évidemment ne pas tricher, ne pas cacher, payer ce qui est dû, ne pas cautionner l’évasion fiscale, et peut-être ne pas s’acharner à rechercher toutes les astuces, toutes les niches qui permettraient de payer moins.
Etre artisans de paix, c’est sûrement ne pas jeter de l’huile sur le feu par des revendications ultra corporatistes ; c’est mobiliser ses forces pour faire évoluer le mieux possible la situation sans s’acharner à remuer le passé aux seules fins d’y trouver des responsables.
Enfin être heureux d’être insultés à cause du Christ, c’est continuer de prétendre que, si tous les hommes de bonne volonté vivaient les valeurs évangéliques, la paix, la justice, le partage, la douceur, la miséricorde et la pauvreté de cœur, il n’y aurait plus de crise.
Il n’est pas facile de prendre conscience de ce qui dans ma vie est ajusté au projet de Dieu. Les choix que je fais vont-ils dans le sens de la justice, dans le sens d’un combat pour la dignité humaine ? Les relations que j’ai (famille, amitié, travail,engagement) ainsi que mes attitudes, permettent-elles aux autres d’être libres ou font-elles pression sur eux ? Selon le cas, il me faudra remercier ou demander pardon et l’aide de Dieu. Oui ne jamais oublier de rendre grâce à Dieu et lui demander des forces neuves pour continuer. Le laisser nous purifier par le sel de Sa Présence car un cœur pur nous ouvre un regard sur le mystère de Dieu, Lui qui est pur amour de gratuité.
Et savoir aussi, de temps en temps, rester-là sans vouloir autre chose que d’être là devant Lui…Bienheureuse comtenplation…
Les béatitudes sont un appel au bonheur et Dieu n’est pas avare pour nous en combler. Le dernier week-end de septembre, un an et demi après avoir lancé l’invitation nous avons eu, mon épouse Françoise et moi, la grande joie de réunir l’intégralité de notre famille, enfants, petits enfants et arrière petits enfants, y compris le dernier d’un mois ! La joie des retrouvailles a été une belle béatitude vécue avec bonheur par tous.
Voila vingt ans que vous m’avez accueilli dans votre communauté paroissiale et je ne saurai que trop vous dire un immense merci pour cette belle béatitude que je vis au quotidien avec vous tous et chacun d’entre vous. Permettez-moi de demander au Seigneur pour chacun d’entre vous que tous vos bonheurs soient éclairés par ses béatitudes, irrigués de douceur, de miséricorde, de justice…
Et laissez-moi terminer en vous laissant méditer quelques phrases du très beau poème de la sœur Mireille Hugonnard, de l’institut Saint Joseph, qu’elle a intitulé : « Béatitudes du temps ordinaire » :
« Béatitudes…
…Consignes de Jésus fait homme, les signant de sa vie. Paraphant l’incroyable,
l’inouï dans l’écartèlement de la Croix tendue comme l’arc entre ciel et terre, tissant réseau entre frères humains…
Heureux, dit-il, En marche, debout, en partance…
Heureux à mon image si brisant tes identités tronquées– tes abris, tes bannières –tu creuses, sous tes aridités : Je ferai en toi jaillir la source vive en hauteur, en profondeur. Elle s’élancera jusqu’au plein ciel du Royaume…
Heureux à mon image si gardant mon visage au secret de ton cœur – ma vie blessée
et mon corps broyé, sans âge – tu discernes l’homme vrai, sans fard, en ce frère bafoué. Je te saisirai en moi. Je te reconnaîtrai prodigue du Royaume, communiquant sa Béatitude… »
Bienheureux sommes-nous d’écouter et d’entendre sa Parole, et de la mettre en pratique.