La question posée par le scribe à Jésus nous rapproche pleinement de ce que nous avons entendu dans la première lecture tirée du livre du Deutéronome où Moise présente au peuple d’Israël le culte qui doit être rendu au Seigneur. C’est sur ces préceptes, ces commandements que va se développer la passion d’Israël pour la Loi, la Torah. Nous savons combien les principes de vie vont être codifiés puisqu’il existe 613 préceptes, 365 négatifs (tu ne feras pas…) et 248 positifs. C’est là que s’exprime le « Shema Israël », « Ecoute Israël » que les Juifs pieux prient au moins deux fois par jour. Il faut nous rappeler que Jésus a été élevé dans cette religion, dans cette culture. Les Juifs religieux sont des passionnés de l’approfondissement de la Torah et du Talmud.
Cela peut d’ailleurs nous interroger, nous chrétiens, sommes-nous des passionnés de la Parole de Dieu ? Sommes-nous des passionnés pour approfondir notre proximité avec notre Dieu trinitaire dans la prière, l’adoration, la méditation, la lecture des écrits bibliques et de la littérature spirituelle ?
Jésus va répondre au niveau du premier de tous les commandements ce que Moise avait dit : « Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ». Jésus ajoute seulement à ce qu’a proposé Moise l’expression « de tout ton esprit » donc de toute ton intelligence, ce qui est invitation à toujours mieux connaître le message du Christ à l’humanité.
Mais ce qu’il faut aussi noter c’est que Jésus dans sa réponse, va au-delà de la question qui lui est posée (il est coutumier du fait, n’est-ce pas, n’essayez pas de me dire le contraire !). En effet il ajoute alors le second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ainsi il va montrer que l’amour des frères découle de l’amour de Dieu.
Le scribe a compris le niveau auquel Jésus voulait l’amener. Celui de l’Amour de Dieu pour chaque être humain. On passe en quelque sorte de la Loi mosaïque (celle transmise par Moïse) à la loi de l’Amour. Aimer Dieu et le prochain vaut alors mieux que toutes les offrandes et les sacrifices, tout ce rituel que l’on imposait au peuple d’Israël et qui avait souvent pris la place de ce que proposait Moise : que ces commandements restent « dans ton cœur ». Jésus dira fort justement au scribe qu’il a compris ce qu’est le Royaume de Dieu, la découverte d’un royaume d’Amour.
Jésus est donc bien le grand prêtre qu’il fallait comme le précise la lettre aux Hébreux. Jésus ainsi va venir apporter à ceux qui vivent encore sous la loi du talion, la loi de l’Amour universel qui bannit la haine et invite au pardon (70 fois 7 fois). Toutes les données sont donc posées, Dieu veut faire de nous, par la venue de son Fils dans notre humanité, des artisans de son Amour. Rude proposition si nous regardons notre monde, mais soyons sans illusion, de tous temps le monde a été difficile. Relisons la Bible, revoyons l’histoire de l’humanité.
La demande du scribe et la réponse de Jésus s’insèrent dans cette recherche de l’essentiel de la loi, pour éviter de se perdre dans mille autres préceptes secondaires. Et c’est précisément cette leçon de méthode que nous devrions d’abord apprendre de l’Evangile de ce jour. Certaines choses dans la vie sont importantes mais pas urgentes (dans le sens que si on ne les fait pas, il ne se passe rien) ; d’autres en revanche sont urgentes mais ne sont pas importantes. Le risque que nous courons est de sacrifier systématiquement les choses importantes pour pouvoir répondre aux choses urgentes, souvent totalement secondaires.
Comment se prémunir contre ce danger ? Voici une histoire pour nous aider à comprendre comment y parvenir. On demanda un jour à un vieux professeur d’intervenir, en tant qu’expert, sur le thème de la planification la plus efficace de son temps, devant les cadres supérieurs de quelques grosses entreprises américaines. Il décida de tenter une expérience. Debout face au groupe prêt à prendre des notes, il sortit un grand vase en verre vide, du dessous de la table. Il prit également une douzaine de cailloux de la taille de balles de tennis qu’il déposa délicatement un à un dans le vase jusqu’à ce qu’il soit plein. Lorsqu’il devint impossible d’ajouter d’autres cailloux, il demanda à ses élèves : « Le vase vous semble-t-il plein ? » et tous répondirent : « Oui ! ». Il attendit quelques instants puis ajouta : « Vous en êtes sûrs ? »
Il se pencha à nouveau et sortit du dessous de la table une boîte remplie de gravillon qu’il versa avec soin sur les gros cailloux en bougeant légèrement le vase afin que celui-ci s’infiltre jusqu’au fond entre les cailloux. « Le vase est-il plein cette fois ? » demanda-t-il. Devenus plus prudents, les élèves commencèrent à comprendre et répondirent : « Peut-être pas encore ». « Bien ! », répondit le vieux professeur. Il se pencha à nouveau et sortit cette fois un sac de sable qu’il versa prudemment dans le vase. Le sable remplit tous les espaces entre les cailloux et le gravillon. Il demanda à nouveau : « Le vase est-il plein maintenant ? » Tous répondirent sans hésiter : « Non ! ». En effet, répondit le vieux professeur et, comme s’y attendaient les élèves, il prit la carafe posée sur la table et versa l’eau qu’elle contenait, dans le vase, jusqu’au bord.
Il leva alors les yeux vers son auditoire et demanda : « Quelle grande vérité nous enseigne cette expérience ? ». Le plus audacieux, pensant au thème du cours (la planification du temps), répondit : « Ceci montre que même lorsque notre agenda est entièrement rempli, avec un peu de bonne volonté on peut toujours y ajouter un engagement, une chose supplémentaire à faire ». « Non, répondit le professeur. Ce n’est pas cela. Cette expérience nous démontre autre chose : si l’on ne met pas d’abord les gros cailloux dans le vase, on ne réussira jamais à les faire entrer par la suite. Il y eut un moment de silence et tous prirent conscience de l’évidence de cette affirmation. Il poursuivit alors : « Quels sont les gros cailloux, les priorités, dans votre vie ? La santé ? La famille ? Les amis ? Défendre une cause ? Réaliser une chose qui vous tient à cœur ? La chose importante est de mettre d’abord ces gros cailloux dans votre agenda. Si l’on donne la priorité à mille autres petites choses (le gravillon, le sable) on remplira sa vie de futilités et l’on ne trouvera jamais le temps de se consacrer aux choses vraiment importantes. N’oubliez donc pas de vous poser souvent la question : ‘Quels sont les gros cailloux dans ma vie ?’ et de les mettre à la première place dans votre agenda ». Puis, d’un geste amical le vieux professeur salua l’auditoire et quitta la salle sous un tonnerre d’applaudissements.
Il me semble qu’il faut ajouter deux cailloux, qui sont les plus gros de tous, aux « gros cailloux » mentionnés par le professeur (la santé, la famille, les amis, etc.) : les deux plus grands commandements, qui sont aimer Dieu et aimer le prochain. Si vraiment nous comprenons qu’aimer Dieu, est plus qu’un commandement, mais un privilège, alors nous ne cesserons de remercier Dieu pour le fait qu’il nous commande de l’aimer et plus rien d’autre n’aura d’importance que de cultiver joyeusement cet amour. Amen.