par Francis ROY, diacre
Pour la 3ème fois, st. Luc nous raconte une invitation de Jésus chez un notable pharisien. Agacé par les préjugés que j’avais vis-à-vis de ces hommes j’ai essayé d’en comprendre le fondement. Bien m’en a pris ! La plupart de ces pharisiens étaient des croyants sincères. Israël subissait depuis des siècles l’occupation étrangère si bien que beaucoup de Juifs étaient de ce fait tentés par « l’assimilation », c’est-à-dire l’envie d’abandonner, ou en tout cas de restreindre, les contraintes de la foi des ancêtres. En réaction, la « confrérie » des Pharisiens regroupait des hommes décidés à observer à la lettre tous les préceptes de la Torah afin de compenser en quelque sorte les lâchetés de beaucoup et de sauver les traditions. Tenons bien compte de cela avant de juger trop rapidement leurs intransigeances rituelles. Jésus est toujours prêt à dialoguer avec n’importe qui. Toutefois il ne faut pas attendre de lui qu’il entre dans une maison pour discuter de la pluie et du beau temps, ni même d’abstractions théologiques. Et on n’achète pas non plus son approbation grâce à de bons petits plats. A ce club de croyants, Jésus va donner, à chaque fois un enseignement. Essayons de bien le saisir et d’en profiter, pharisiens modernes que nous sommes !
Jésus remarque que les invités choisissaient les premières places. Le bien le plus précieux d’un être humain est l’honneur, l’estime de soi. Nous voulons faire bonne figure et nous ne voulons pas être humiliés devant les autres. Jésus part donc de ce constat pour sa parabole, et l’histoire de Jésus, c’est celle de sa vie. Il est celui qui a choisi de se mettre à la dernière place, sur la croix, dans la confiance en son Père dans un mouvement volontaire.
Que peut-on donc faire de la parabole de Jésus? Il y a quelque chose de profond à saisir dans ce passage de Luc. L’humilité, qui aux yeux du monde est une faiblesse, se révèle comme la vérité, la nécessité dans la communication, dans les relations avec les autres et dans les solidarités. C’est le chemin vers la vraie grandeur. Sirac le Sage, dans son journal spirituel, notre première lecture, a pressenti tout cela lorsqu’il écrit au deuxième siècle avant notre ère, « Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser. La condition de l’orgueilleux est sans remède car la racine du mal est en lui. »
La parabole parle à la fois de Dieu et de nous. D’un Dieu qui nous désire et qui veut que nous trouvions notre vraie place dans la vie; que nous ayons un regard juste sur nous-mêmes. Dieu nous veut à notre place, et il nous redit : « connais-toi toi-même ». C’est un appel à nous ouvrir les yeux, à nous ouvrir le cœur et à agir en conséquence. Un appel à prendre notre place dans la vie et pas la place des autres. En somme, une parabole qui parle de l’humain, qui nous dit quelque chose sur la façon de recevoir sa vie, de se mettre à la suite de Jésus. En perdant notre vie à la manière de Jésus, à la manière du grain de blé qui tombe en terre, nous ne nous perdons pas définitivement, nous nous trouvons sur le chemin du Royaume.
Jésus enseigne également l’art de nous mettre à table. Il nous dit étrangement de ne plus inviter « ni ses amis, ni ses frères, ni ses parents, ni ses riches voisines » pour le repas. Il faut un brin d’humour pour vivre l’espérance de Jésus. Il ne vient pas faire un discours moralisateur aux pharisiens et à nous-mêmes, il vient nous ouvrir les yeux. Il est là pour sauver tous les humains. Quand nous progressons dans la foi, nous pouvons tomber dans le piège : je suis un bon chrétien, je vaux plus que les autres. Jésus nous rappelle aujourd’hui que la porte du Royaume est une porte par laquelle seuls les petits peuvent passer. Comme le dit la deuxième lecture, le Dieu de la nouvelle alliance vient sans les fastes du Sinaï. Il invite à la liberté, à la fête et à la joie tous les premiers nés du monde nouveau qu’il est venu établir. Ce texte se situe à la fin de Lettre dite aux Hébreux. L’auteur ne cesse d’encourager les jeunes chrétiens qui doutent, se demandant comment se sanctifier sans les rites du Temple et sans faste liturgique. La sanctification n’est pas le produit d’un culte extérieur. La vie chrétienne, c’est être accueilli dans le Royaume de Dieu, c’est vivre une nouvelle relation d’intimité avec Jésus, par l’Esprit.
Dans sa vie comme dans sa mort, Jésus a pris la dernière place pour inviter au festin des noces tous les pauvres et humbles de cœur, aux malchanceux dans la vie. Il nous demande d’aller à la rencontre de ceux qui refusent la parole car il est venu annoncer par sa présence un monde nouveau, une nouvelle échelle de valeurs, un autre ordre de préséance dont l’essentiel est de se mettre au dernier rang pour servir en toute confiance. Ce sont là les mœurs provocantes du Royaume des Cieux.
D’après l’évangile, ce qui semble être sûr, c’est qu’il y a pour tout un chacun une place au Royaume de Dieu. Celle-ci se découvre tout simplement chaque fois que je donne plus de place à l’autre pour qu’il trouve en lui plus d’espace encore tellement notre propre regard lui aura permis de se recentrer sur la source de l’humilité qui est l’amour. S’il en est vraiment ainsi, puissions-nous ne jamais oublier que la mesure de l’amour se découvre dans sa démesure.