Homélie 3ième dimanche ordinaire C (23-24/01/2016)
C’est la troisième fois que nous regardons de près le début du ministère de Jésus. Nous avons célébré son Baptême le 10 Janvier puis le 17 les noces de Cana, le début de sa vie publique et aujourd’hui le commencement de sa prédication. Et la prédication de Jésus est simple : il annonce la Bonne Nouvelle, une bonne nouvelle qui nous est adressée à nous tous : annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération ; et surtout porter la bonne nouvelles aux plus pauvres. Mais le comble de tout cela c’est que Jésus nous dit : « cette parole de la Bible que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. »
Les gens présents dans la synagogue se dirent entre eux : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? Pour qui se prend-il pour prétendre une chose pareille ? Et que veut-il dire, ce fils de charpentier, et non-pas de rabbin ou de scribe, quand il prétend que c’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit ? »
Mettons-nous un instant à la place des auditeurs de Jésus. Nous sommes à Nazareth et ces auditeurs, ce sont ses camarades d’enfance, les amis et connaissances de ses parents, qui l’ont vu grandir ; les membres de sa propre famille. Comment pourraient-ils comprendre que ce gamin qui a grandi parmi eux soit tout à coup investi d’une quelconque autorité religieuse pour déclarer avec assurance : « Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » ?
Et nous, qu’en pensons-nous ? Comment comprendre cette affirmation de Jésus ? Voyons-nous aujourd’hui cette parole accomplie ? Constatons-nous que la Bonne Nouvelle est apportée aux pauvres ? Peut-on annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière ? Qui donc a apporté aux opprimés la libération ? Quelle est donc cette Bonne Nouvelle ?
En premier lieu, remarquons que Jésus ne dit pas que la parole est accomplie, mais qu’aujourd’hui, elle s’accomplit. C’est une forme progressive. Nuance importante ! On comprend qu’à travers cette expression, la Parole est en marche, elle est en train de s’accomplir, elle n’en finit pas de s’accomplir. Elle ne fait pas du passé un temps révolu, où il existait des prisonniers et des opprimés qui seraient à présent libérés, des aveugles qui désormais verraient la lumière. Cet accomplissement continuel nous fait au contraire prendre conscience du présent. Aujourd’hui, cette parole s’accomplit.
Mais aujourd’hui, Jésus, qui est parole de Dieu, n’est plus physiquement parmi nous. C’est par son Église, par vous, par moi, par nous tous, que cette parole peut s’accomplir. Annonçons nous-mêmes, aujourd’hui, dans ce temps présent, aux prisonniers la libération, aux aveugles la vision de la lumière, à ceux qui souffrent, le soulagement, aux pécheurs le pardon.
Comprenons bien qu’une fois de plus, Jésus se place au niveau spirituel. Si, par ses nombreuses guérisons que les Évangiles nous racontent, il a bel et bien guéri les corps, c’est toujours en vue d’une guérison des cœurs, des âmes. La guérison physique n’est que le signe de la guérison spirituelle qui nous est proposée. Nos fragilités, qui sont bien plus larges que nos seules maladies ou infirmités, peuvent trouver un apaisement, un réconfort par la Parole de Dieu qui s’accomplit aujourd’hui.
Notre monde matérialiste, dans lequel nous devons vivre, et duquel nous ne pouvons nous extraire, a bien du mal à comprendre cela. Et pourtant, combien de témoignages pourraient l’aider à entrer dans cette compréhension !
N’oublions jamais que l’Évangile est une Parole qui nous rejoint aujourd’hui car c’ est le Christ Vivant, c’ est le Christ Ressuscité qui se tient « debout » au milieu de nous. Nous-mêmes pour l’entendre, pour recevoir sa Parole « cinq sur cinq » au moment de la lecture de l’Évangile, nous nous tenons « debout », en position de « ressuscités »!
Chaque jour, l’Évangile est à écrire : avez-vous noté ce qu’écrit Saint Luc? : « J’ai décidé moi aussi d’écrire un exposé suivi… ». On peut dire que nous aussi, nous avons à écrire à notre tour : quoi donc? Un Évangile; dans la chaîne des témoins nous avons à écrire notre « cinquième Évangile » qui soit, non le fruit de révélations nouvelles ou d’élucubrations diverses mais un Évangile qui actualise pour « aujourd’hui » la Parole éternelle de Dieu : l’Écriture appelle d’autres écritures; l’Évangile appelle d’autres évangiles « vivants », le Christ appelle d’autres « christs »! C’est dans la droite ligne de ce que vient nous dire Saint Paul : « Vous êtes-vous les Baptisés!-, le Corps du Christ et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps » (1 Corinthiens 12, 12-30).
Le Christ veut prendre place dans notre quotidien, dans nos maisons, nos quartiers, nos lieux de vie, de travail, de repos, nos lieux de prière : Il met en chantier notre foi : Il veut, chez nous, être « chez lui »! Il veut que, chez lui, nous soyons « chez nous »!
Nous sommes les pauvres qu’Il vient enrichir, nous sommes les prisonniers qu’ Il vient délivrer, nous sommes les aveugles qu’Il vient conduire à la Lumière, nous sommes les opprimés qu’Il vient libérer et sauver.
Dans l’étrange charivari d’impostures, de supercheries et de tromperies de toutes sortes qui nous assourdit, nous hébète et menace de nous égarer, il faut nous redire « aujourd’hui » la phrase adressée par Fénelon à une pénitente : « Taisez-vous donc et Dieu vous parlera. Comment voulez-vous qu’Il se fasse entendre, quand vous faites tant de bruit? ». « L’humanité est malade de vacarme » disait aussi le philosophe Kierkegaard.
Frères et sœurs, dans un monde rempli de vacarmes de toutes sortes, vacarmes que nous produisons parfois nous-mêmes, ne faudrait-il pas proclamer « un jeûne » de paroles, ne faudrait-il pas « mettre un frein à notre langue » (Psaume 14) et ouvrir davantage nos oreilles et plus encore notre coeur à Dieu, comme le criait Moïse au Peuple de Dieu : « Fais silence et écoute, Israël » (Deutéronome 27, 9)?
Toi, chrétien, sais-tu encore te taire et faire silence? Toi, chrétien, sais-tu encore faire silence pour écouter ton Dieu? Dieu est venu te parler : « Il n’est pas venu -dira Charles Péguy- te dire des fariboles; Il n’a pas fait le voyage pour te conter des amusettes, des blagues ou des devinettes ».
Chrétien!, cette parole de l’Écriture que tu viens d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit! C’est aujourd’hui qu’elle veut se frayer un chemin pour te conduire à Dieu! Comprends-le bien : pas hier! Pas demain! Aujourd’hui!
Amen.
Francis ROY, Diacre