Homélie 7ième dimanche de Pâques C (28-29 mai 2022) par Francis Roy, diacre
Nous voici quelques jours après l’ascension, où Jésus ressuscité a cessé d’apparaître à ses disciples, et les a envoyés en mission « jusqu’aux extrémités de la terre » ; et une semaine avant la Pentecôte, lorsqu’il enverra sur eux son Esprit qui leur donnera la force de témoigner. Qu’il y a-t-il de commun dans tous les textes que nous venons d’entendre ? C’est sans doute leur manière de parler du retour du Christ, que l’on appelle « la parousie », à la fin des temps, où l’humanité toute entière, enfin libérée, sera emportée auprès de Dieu dans la gloire. Etienne voit, comme par anticipation, cette gloire de Dieu. Il voit Jésus debout à la droite du père. Debout, c’est la position qui signifie la résurrection. Et cette vision lui coûtera la vie, car ce qu’il en décrit est insupportable aux oreilles des juifs auxquels il s’adresse. Et on peut voir que le récit de sa mort suit avec un étonnant parallélisme celui de la passion et de la mort de Jésus : Après un procès où de faux témoins l’ont accusé de blasphème, comme pour Jésus, Etienne est trainé hors de la ville, comme Jésus car le Calvaire était en-dehors de Jérusalem. Pendant qu’on le lapide, Etienne prie avec le même psaume que Jésus : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (c’est le psaume 30). Enfin, comme Jésus, il meurt en pardonnant à ses bourreaux. « Seigneur, ne leur compte pas ce péché ».
Le psaume 96 que nous avons chanté ensuite proclame lui aussi la gloire de Dieu, roi et maître de toute la terre. L’apocalypse enfin, livre de la Révélation, est tout entier consacré à cette description symbolique de la fin des temps, où l’humanité verra le retour du Christ qu’elle ne cesse d’attendre. Ce livre s’achève d’ailleurs par ses mots, qui sont donc aussi les derniers de la Bible : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »
Nous sommes donc, dans ce 7ème dimanche de Pâques, à la fois dans la joie d’un « déjà là », puisque Christ est ressuscité, qu’il s’est montré à nous et qu’il a rejoint le Père dans sa gloire, et en même temps dans l’attente d’un « pas encore », attente de cette promesse de Jésus qui nous enverra son Esprit Saint au jour de la Pentecôte. « déjà là ; pas encore ». C’est tout le mystère de notre foi chrétienne : nous sommes déjà des ressuscités, mais nous ne le serons de manière totale et achevée qu’à la fin des temps, au retour du Christ. Nous avons, dès ici-bas, à construire un monde à l’image du Royaume de Dieu (c’est le « déjà là »), mais nous savons que ce Royaume ne sera réellement achevé en plénitude, qu’aux fins dernières, au retour du Christ (le « pas encore »). Cette tension entre ce « déjà là » et ce « pas encore », tension qui peut parfois être crucifiante, Jésus nous en donne une des causes principales : notre incapacité à vivre dans l’unité. Son plus cher désir au moment de mourir, « de passer de ce monde à son Père », comme le dit St Jean, c’est que nous soyons unis. Il le répète trois fois dans cette prière pathétique : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. »
Il dit plus loin : « Que leur unité soit parfaite ». Unité, oui, mais pour quoi faire ? « pour que le monde croie », « pour qu’ils contemplent ma gloire » « pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé » répond Jésus.
Être unis. Ce désir de Jésus, c’est aussi le désir de l’homme. De tout homme. Être uni, c’est ne pas rester seul. C’est entrer en relation avec l’autre. C’est connaître quelque chose de l’amour, ce lien si fort qui unit, qui unifie.
« Qu’ils soient un »… Quel immense et beau défi pour un couple que de bâtir une union profonde où tout ce qui affecte l’un affecte l’autre, où le souci de l’autre prend le pas sur le souci de soi dans le respect du mystère de la personne dans son unicité inaltérable ! N’y a t-il pas ici tout un chemin pour le témoignage de l’Église dans le monde d’aujourd’hui ? Des couples se défont, des familles implosent, des enfants souffrent. La prière du Christ nous pousse à prier pour que les couples chrétiens deviennent toujours davantage des foyers de respect et d’unité, de don de soi inconditionnel dans une réciprocité toujours plus grande. Comment bâtir cette image du Dieu trinitaire, ce lieu d’amour – « tous deux ne feront plus qu’un » (Mt 19,5b) – où tous deux se feront grandir l’un l’autre ? Réjouissons-nous de ce que des couples s’engagent sur ce chemin sans que les modèles culturels et familiaux déterminent leur vie mais bien la seule écoute de l’Évangile. Ils bâtissent une unité qui permet à chacun de grandir, de devenir un être unique. « Ce mystère est grand » (Ep 5,32) dira encore Paul.
Jésus, au moment de quitter ses disciples, leur livre la plus efficace des méthodes d’évangélisation : Aimez-vous. Alors vous attirerez les hommes, ils seront curieux de vous, étonnés, saisis, conquis. La prière s’achève. Que demande Jésus pour terminer ? Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi. Ceux que tu m’as donnés : quelle tendresse ! Le Père nous a donnés, confiés à Jésus ! Je veux. C’est le seul « ordre » que, de sa vie, Jésus donne au Père. C’est qu’il y tient. Mais ce qui paraît un ordre n’est, en fait que ce que le Père veut lui-même. Je veux que là où je suis eux aussi soient avec moi. Être avec Jésus, partager son bonheur, contempler sa gloire. Contempler, c’est expérimenter, savourer, être dedans. Expérimenter, non seulement la glorification du Christ-homme, mais tenez-vous bien, être plongé dans la gloire divine de Jésus, celle que, en tant que Verbe, il avait avant même la création du monde. Non une gloire froide, mais ce frémissement, ce feu dont tu m’as aimé depuis toujours.
Chaque fois que nous nous égarons loin des chemins de l’amour, nous sortons de l’unité, et nous faisons l’œuvre du diviseur, du diable, qui déconstruit, sépare, oppose, ce que Dieu construit, rassemble, unit. Par contre chaque fois que nous faisons œuvre d’unité, de réconciliation, de paix, nous permettons à l’Esprit d’étendre le Royaume de Dieu : « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 7). Mais reconnaissons que nous sommes souvent plus actifs sur le chantier de la déconstruction que sur celui de l’édification.
C’est bien pourquoi Jésus prie le Père d’accomplir, par le don de l’Esprit, ce qui est hors de notre portée. Quel mystère que les pécheurs égarés que nous sommes, soient invités à devenir participants de la communion trinitaire ! Le porche d’entrée dans ce mystère est l’accueil de la gloire que Jésus nous donne en partage, c’est-à-dire l’accueil dans la foi, de son amour rédempteur, qui nous fait communier à sa vie filiale.
Ainsi finit cette belle prière « sacerdotale » qui n’a pas sa pareille dans toute l’histoire religieuse de l’humanité. Est-ce encore prière d’homme ? C’est le dialogue du Fils avec le Père, comme devant nous, là. Que dis-je : en nous ! Heureux ceux qui savourent cette prière dans de longs silences et en vivent !
Amen.