homélie du 19 juin 2016 ( 12e dimanche ordinaire)

par Francis Roy, diacre

 

« Pour la foule, qui suis-je ? » Étonnante, cette question que Jésus pose à ses disciples. Que cherche-t-il à savoir ? A-t-il des doutes sur l’image qu’il renvoie aux foules qui le suivent ? Veut-il s’assurer que les gestes qu’il pose, que les paroles qu’il dit correspondent bien à sa mission, qui est de révéler son Père à tous les hommes ?

Dans l’évangile de Luc, cette question « qui suis-je ? » est posée après bien des signes, après bien des guérisons et bien des discours de Jésus. Elle suit immédiatement l’épisode de la multiplication des pains, un temps fort de l’évangile, un signe décisif, et symboliquement riche sur l’identité de Jésus. Il vient de nourrir une foule de cinq mille hommes à partir de cinq pains et deux poissons ; chacun a été rassasié, et la quantité de restes est impressionnante.

Mais Jésus se rend bien compte que toutes ces personnes n’ont pas vraiment compris. Ils ont vu l’extraordinaire, ils ont bénéficié de ses miracles, de ses guérisons, mais ont-ils perçu leur réelle signification ? Alors il interroge ses disciples. Ils doivent bien avoir des échos de ce que les gens disent de lui.

La question de Jésus est étonnante, mais les réponses ne le sont pas moins. Elles disent toutes un personnage du passé qui serait revenu. Il ne serait, en quelque sorte, qu’un « revenant », un personnage extraordinaire, plus ou moins ancien, mais déjà connu, qui reviendrait faire un petit tour supplémentaire. Aucune n’envisage que Jésus, cet homme qui pourtant parle et agit là, devant leurs yeux, puisse être simplement lui-même, une personne du présent. Tous ces gens n’ont donc vu que des redites, que la répétition de gestes déjà accomplis par d’anciens prophètes. Ils sont comme passés à côté du sens totalement nouveau que Jésus propose à travers les signes qu’il accomplit.

Et par ailleurs, le visage de Jésus varie aussi selon les époques et les cultures. Nous autre catholiques ou protestants ne voyons Jésus que par la croix. Nos frères orthodoxes voient d’abord le Christ Pantocrator, le Messie non plus souffrant mais triomphant, le Christ en sa gloire, présent dès la création du monde. Cette différence de représentation traduit une conception du salut différente. Voir Jésus comme le crucifié, tout en croyant à la résurrection, c’est le voir comme mort pour nous à cause de nos péchés et risquer d’entretenir une religion de la culpabilité. Pour l’Orient on peut dire tout simplement : Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu et le Christ est montré en sa gloire où il nous précède et nous attire. Ce positivisme me plait bien, me battant depuis plus de cinquante ans contre le sentiment de culpabilité transmis par mon éducation.

Et nous constatons aujourd’hui, chez la plupart de nos contemporains, et même chez certains croyants, la même ignorance vis-à-vis de Jésus que celle de ses contemporains : Ce Jésus, qui a vécu il y a deux mille ans et qui a fait de si belles choses, qui a dit de si belles paroles… mais qui resterait un personnage du passé ! Si c’était le cas, nous ne serions pas là aujourd’hui, dans cette église, ni vous ni moi !

Si Jésus interroge d’abord ses disciples sur ce que pense la foule, il prolonge la question : « pour vous, qui suis-je ? » Cette question, il nous la pose à nous aussi, aujourd’hui. Pour moi, qui est Jésus ? Il ne s’agit pas là de répondre à la manière du bon élève qui a bien appris sa leçon. Il ne s’agit pas seulement d’une question faisant appel à nos connaissances historiques ou à notre savoir intellectuel. Certes, cette connaissance n’est pas inutile, mais elle ne permet de répondre qu’à une partie de la question de Jésus : « qui suis-je ? ». Il manque le « pour vous… ? ». Même la réponse de Pierre, que l’on pourrait considérer comme « la » bonne réponse : « tu es le Messie de Dieu » ; même cette réponse ne dit pas tout. Pierre a bien compris, contrairement à la foule, que cet homme n’est pas qu’un prophète de plus, ni la réincarnation d’un ancien prophète.  Mais quand il dit « le Messie », il a en tête, comme tout bon juif de l’époque, ce personnage politique tant espéré, qui va sauver Israël en restaurant la royauté, et en chassant l’occupant romain par la force toute-puissante de Dieu, comme au temps de Moïse libérant les hébreux d’Égypte, par le passage à travers la mer. C’est ce Messie-là qui était attendu.

« Tu es le Messie de Dieu » dit Pierre. Or, que répond Jésus ? Rien. Silence approbateur. Oui, je suis bien le Messie, mais pas celui auquel vous pensez. C’est pourquoi, pour éviter toute méprise, « il leur défendit vivement de le révéler à personne, en expliquant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » Aucun rapport avec cette image rêvée du Messie Tout-Puissant ! Le peuple d’Israël de l’époque n’est pas prêt à accueillir ce Messie vulnérable, rejeté et tué. Nos contemporains le sont-ils davantage ? Nous-mêmes, sommes-nous bien clairs sur l’image que nous avons du Messie, c’est-à-dire du Christ, sur cette vulnérabilité extrême qui va l’entraîner jusqu’au don de sa propre vie pour nous tous ?

Alors, si même cette réponse de Pierre n’est qu’une fausse bonne réponse, quant à nous, que devons-nous répondre ? « Pour vous, qui suis-je ? »

« Pour toi, qui suis-je ? » me demande Jésus chaque jour. C’est aussi la question que nous pose le monde dans lequel nous vivons. Que vais-je répondre ?

— Est-il pour moi un personnage du passé, ou bien un compagnon de chaque jour ?

— Est-il celui qui va me délivrer en faisant périr mes adversaires, ou bien celui qui va m’aider à traverser mes angoisses en me tenant simplement par la main ?

— Est-il celui qui me dicte avec autorité ce qui est bien et ce qui est mal, ou celui qui me guide avec tendresse sur le chemin qu’il me propose ?

— Est-il celui qui m’a envoyé cette maladie, ou celui qui pleure avec moi sur mon lit de souffrance ?

— Est-il celui dont je crains la colère, ou celui à qui je confie mes difficultés, mes inquiétudes, en toute confiance ?

Chacun de nous peut continuer la liste. Mais quelles que soient nos réponses, Jésus lui-même nous assure que, même s’il nous faut porter notre croix chaque jour pour le suivre, notre vie sera sauvée si nous acceptons de la perdre pour lui.

Et l’amoureux des psaumes que je me targue d’être vous dit très simplement que le psaume 62 que nous avons chanté tout à l’heure est pour moi une réponse possible à la question de Jésus : « Pour toi qui suis-je ? ». Lisons-le, méditons ces paroles d’amour pour ce Dieu dont on est si démuni pour en bien parler, de cet inconnaissable mais cependant si attirant en qui chacun peut mettre toute sa confiance. Vivons ce psaume, afin que le monde, si assoiffé de Dieu sans même le savoir, puisse le reconnaître en nous. Laissons résonner en nos cœurs cette question que Jésus nous pose aujourd’hui : « Pour vous, qui suis-je ? » et prenons le temps d’apporter, petit à petit, jour après jour, par notre vie quotidienne toute simple, une réponse qui soit, pour les foules assoiffées de vérité, une véritable annonce de l’évangile. Amen !

22 juin 2016 |

homélie du 12 juin 2016

 

par  Claude Compagnone, diacre,  

Mais quelle est donc cette expérience que Paul et cette femme dont nous parle l’évangile de St Luc ont pu vivre pour oser faire ce qu’ils font ? Paul ce persécuteur de chrétiens, qui a conduit à la mort ceux qui suivaient le Christ, Paul que l’on pourrait qualifier d’assassin, est-il devenu fou ? Et cette femme que l’ont dit « pécheresse » est-elle devenue folle ?

Ils ont, l’un et l’autre, des paroles ou des gestes démesurés, inhabituels. Paul affirme ainsi « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ». Paul a-t-il donc abandonné tout ce qu’il est lui-même pour n’être plus qu’une marionnette puisque ce n’est plus lui qui vit ? Et cette femme qui vient aux pieds de Jésus a-t-elle perdu tout amour propre pour faire irruption dans un repas où elle n’est pas invitée ? Pour s’occuper des pieds du Christ, de la partie de son corps souillée par la poussière des chemins et les détritus de la rue ? A-t-elle perdu tout amour propre pour donner dans la démesure ses larmes, pour donner son parfum, et la partie la plus noble de sa féminité, sa chevelure ?

Imaginez un tel discours aujourd’hui dans la bouche d’un ex-religieux fanatique, meurtrier ; imaginez une telle scène aujourd’hui où une femme de mauvaise réputation viendrait choyer les pieds d’un convive que l’on dit exemplaire dans son mode de vie ? Quel scandale ! Paul et cette femme, que la tradition latine identifie à Marie-Madeleine, cette femme qui suivra ensuite Jésus durant toute sa mission jusqu’à sa résurrection, sont-ils donc fous ?

Oui, fou et folle, ils le sont assurément ! Mais ils sont fous de cette folie de la pleine vérité, de cette folie où toutes les conventions n’ont plus d’importance au regard de cette rencontre avec le Christ. Ils sont fou et folle de cette folie où ce qui importe c’est la pleine relation avec celui que l’on sait être la source du pardon, que l’on sait être la source de la vie.

Paul et Marie-Madeleine ont vécu l’un et l’autre un bouleversement, un retournement, un renversement, où ce qu’ils croyaient être faux s’est avéré être vrai. Et le plus dur à croire, le plus dur à imaginer pour eux, c’est qu’ils puissent être pardonnés de leurs lourdes fautes, de leurs graves péchés. Comment rester debout après cela ? Comment rester là, à attendre en découvrant cela ?

Ils ont rencontré le Christ et leur folie est la conséquence de cette rencontre. Peu importe le « qu’en dira-t-on », peu importe ce que les autres pensent d’eux. L’un et l’autre s’étant laissés percutés par la puissance du pardon du Christ ont été arrachés de l’ancien homme et de l’ancienne femme qu’ils étaient. Ils ont fait l’expérience de la conversion.

Cette folie qui les habite alors ne les pousse pas pour autant à faire n’importe quoi. Bien au contraire. Ils arrivent l’un et l’autre à formuler les mots et à faire les gestes qui disent leur arrachement d’eux-mêmes. En s’arrachant à eux-mêmes, ils se donnent complètement : Christ vit en Paul et la femme pécheresse donne tout ce qui faisait sa fierté de femme libre. Ils donnent tout, et en donnant tout, ils se trouvent. Ils trouvent ce qu’ils sont dans le plus profond de leur être mais qui était dissimulé sous un tas de principes ou un tas de fausses idées. Ils se trouvent pleinement.

Je me souviens encore très nettement de la lumière dans cette chapelle, pas très loin du massif de la Sainte-Baume où la tradition dit que Marie-Madeleine a fini ses jours. Je me souviens de cette fin de retraite « prière et jeûne » où je me laissais percuter par cette évidence que Dieu m’aimait pleinement, me pardonnait et me donnait la vie en abondance. Je ressentis ce don sans égal qui m’était offert à travers la vie et l’énergie de mon épouse et de mes enfants. Accueillant, je m’abandonnais à moi-même et j’entrais pleinement et simplement dans la réception de ces dons. J’acceptais de me laisser transformer, j’acceptais la joie parfaite. Je devinais alors cet abandon total et radical que Marie-Madeleine avait dû vivre au pied du Christ : écroulée, transfigurée, relevée, elle était alors pleinement entrée dans la vie. Amen.

13 juin 2016 |

Homélie du 5 juin 2016

par Jean-Paul BERTHELOT, diacre

 

Les lectures que nous venons d’entendre sont un appel à la foi. Elles nous disent la puissance et la bonté de Dieu. Quels que soient les obstacles, il est capable de nous aider à les dépasser grâce à la foi, dans l’espérance et dans l’amour. Je peux ainsi affirmer comme cette femme de Côte d’Ivoire : «  Jésus me voici devant  toi dans le silence de mon cœur, meurtrie par tant de douleurs et d’humiliations, mais au fond de moi j’ai une grande joie, car Jésus j’ai confiance en toi »

Oui, nous aimerions nous aussi pouvoir sécher les larmes de ce monde comme Jésus le fait dans l’Evangile : « Ne pleure pas » Nombreuses sont les souffrances que les médias nous montrent dans notre monde. Nous sommes débordés par la douleur.

C’est ce qui arrive à ces veuves dans la première lecture et l’Evangile. Elles ont perdu leur mari, puis leur fils unique. Bilan : elles n’ont plus aucune raison de vivre, et de pouvoir vivre (aucun soutien moral et financier) Dans bien des pays, la femme ne peut se réaliser qu’en donnant la vie et ainsi fonder une famille. C’est pourquoi la stérilité est perçue aussi comme une malédiction.

Deux rencontres vont bouleverser leurs vies : le prophète Elie pour l’une et Jésus pour l’autre. Face à cette sensation d’impuissance nous avons envie de baisser les bras comme ces femmes mais voilà comme il est écrit dans l’Evangile « Dieu a visité son peuple » Cela signifie que nous ne sommes pas seuls. Dieu est là.  Il est possible  de continuer à vivre, grâce à Lui.

Cette souffrance de la veuve de Naïm provoque une onde de choc au cœur de cette petite localité. Le soutien de la population est total. Jésus est percuté par la souffrance de cette mère. De spectateur de cette mort, si je puis dire, il va devenir acteur de la vie. Son empathie est instantanée. Il est ému jusqu’au plus profond de son être. Il va donc se mettre au service de cette mère et de ce fils et par extension de notre humanité.

Le Christ nous fait part de ses émotions comme pour nous rappeler qu’elles font partie de la vie et qu’elles sont une richesse. Devant cette mère privée de relation affective, Jésus a vibré. Il a partagé cette douleur. Lui, plus que tout autre, pouvait percer le sens de cette tragédie humaine ; lui le Fils unique, envoyé du  Père et appelé à mourir sur le bois de la croix. Oui, Jésus est ému par cette mère désespérée, par la souffrance humaine mais il ne reste pas inactif. La douleur de cette mère et son amour pour l’être humain l’engage à intervenir et à dire cette parole stupéfiante : « Ne pleure pas » Parole d’autant plus surprenante que dans ces régions les coutumes d’accompagnement du défunt sont d’engager des pleureuses « professionnelles »

Le Christ invite au contraire à l’aventure audacieuse de la foi. Il apaise, il dissipe nos craintes face à la mort. Il rassure nos cœurs préoccupés et inquiets face au vide. Le Seigneur stoppe la procession et brave l’interdit d’approcher le cercueil. Il a l’audace de faire face au défi de la mort. Nous découvrons ici la finalité de son combat sur notre terre. Ce que le Seigneur a fait pour cette mère et ce fils éclaire tout son projet de salut, et de vie éternelle pour chacun de nous.

Si par la foi, nous laissons le Christ agir  en nous, il se passera toujours des choses étonnantes dans notre vie.  C’est de l’ordre de l’expérience et non de formules mathématiques. Notre mission de chrétiens baptisés est d’être porteur de l’amour du Christ auprès de tous  ceux qui souffrent. A travers notre personne, c’est Lui que nous faisons découvrir aux autres. Avec lui la mort ne peut avoir le dernier mot. C’est la vie qui triomphe.

Cet évangile nous révèle la capacité de Jésus de pouvoir redonner la vie à tous. Passer de la mort à la vie, c’est aussi repartir sur un bon chemin pour ce jeune égaré dans la délinquance ou la drogue, c’est retrouver l’amour dans les couples en difficultés ou prendre un nouveau départ pour ce demandeur d’asile.

Jésus a transformé deux êtres  dans cet évangile :

–          Il a redonné la vie au fils de cette mère.

–          Il a redonné la vie à cette mère par son fils.

Le lien de famille est rétabli. En donnant sa vie, le Seigneur nous a redonné vie et celle-ci s’accueille par la foi, la confiance. Découvrir Jésus-Christ, c’est s’abandonner dans ses bras en toutes circonstances, s’en remettre complétement à sa puissance de vie. Le message du Christ aujourd’hui est de réveiller en nous cette assurance que ce n’est pas la mort physique qu’il faut redouter, mais bien la suite que veut donner Dieu à notre histoire.

Comme ce fils perdu pour sa mère, nous avons tous besoin d’être réveillé, pour que s’éveille le jour d’une relation nouvelle, porteuse d’espérance et de vie. Il y a nécessité de  faire mourir en nous le superflu, l’éphémère pour que la vraie vie ne soit ni étouffée, ni marginalisée. Que notre souci soit de partager la détresse de nos frères. Qu’à travers nous, ce soit Dieu qui les rejoint.

La foi, nous n’en aurons jamais assez et toute notre vie sera ainsi. Les difficultés de la vie sont aussi une épreuve de foi. Mais c’est le Christ qui doucement fait notre route. Il nous faut demeurer dans la prière car elle nous permet de revenir à la source. C’est un peu comme un portable, il faut qu’il soit toujours chargé sinon il est inutilisable. Plus nous accueillons l’Esprit,  plus il nous guide.

Jésus est la source : source de vie, source du don, source de l’amour, source de la liberté. Quand je cherche ma source ailleurs, forcément, j’éprouve un grand vide après un moment intense de vie. Oui, sans Dieu, notre humanité est sans consistance.

Comme le dit Guy Gilbert, Dieu est un donneur universel. Il a donné son sang pour nous tous avec en priorité les exclus, ceux qui sont sans ressource et les personnes souffrantes. Il est venu nous vacciner contre la haine, la violence, la jalousie et le désespoir.

Alors faisons lui confiance, c’est Lui notre espérance. Rayonnons de son amour

5 juin 2016 |