Homélie de la Pentecôte – 15 mai 2016

par   Claude Compagnone, diacre

J’ai compris la force de l’Esprit Saint lorsqu’adolescent je participais à un groupe de prière. Comment vous dire la façon dont au cours d’une de ces réunions quelque chose s’est rompu en moi laissant le champ ouvert à une réception et à une attention insoupçonnées ? J’acceptais, là, par un abandon fait réceptacle de me laisser envahir pleinement par l’Esprit de Dieu. Je me suis laissé transformer, je me suis laissé guider plus loin. Je ne suis pas devenu instantanément autre, mais j’ai saisi dans tout mon corps, dans ma chair et dans mon esprit, dans ma pensée et dans mes perceptions, que Dieu agissait en moi par son Esprit. J’ai senti une relation profonde. Il fallait que je chemine attentif à ce souffle.

Le don de l’Esprit que Dieu nous fait est un don immense dont je ne suis pas sûr que nous appréciions toute l’importance. Or notre Église est pentecôtiste. Elle est pentecôtiste, car elle se nourrit de ce don merveilleux que le Christ nous laisse après son ascension : le don de l’Esprit Saint. Comme le Christ le dit à ses disciples, pour que nous recevions pleinement ce don, il faut qu’il parte, que le contact physique avec lui soit rompu.

Le temps entre la résurrection du Christ et celui de la Pentecôte est ainsi un entre-deux, une transition. Durant ce temps, le Christ est là sans être là ; il fait des apparitions ; il n’est pas toujours immédiatement reconnu. Dans un mouvement plein d’attention pour ceux qu’il aime, il affermit la foi de ses disciples et les enseigne, comme sur le chemin d’Emmaüs. Il les encourage et les fortifie. Il les prépare à la Pentecôte. Il les prépare à être des hommes capables de recevoir pleinement l’Esprit Saint ; des hommes capables, en s’appuyant sur le souffle de Dieu, de se débrouiller sans sa présence directe à leur côté ; des hommes qui assument avec force leur mission de fils de Dieu ; des hommes de lumière.
La Pentecôte n’est donc pas un moment de normalisation qui suivrait le tohubohu de la résurrection comme si tout rentrait dans l’ordre, comme si un livre se refermait après une grande aventure. Non ! Bien au contraire. Ce tohubohu de la vie en Dieu est donné aujourd’hui et à chacun. Oui, aujourd’hui et à chacun, par ce souffle de l’Esprit que nous pouvons tous recevoir. Comme Paul le dira et redira à temps et à contretemps dans ses lettres : il n’y a plus ni juif ni païen, ni esclave ni homme libre. Il n’y a que des fils de Dieu qui tirent leur force de l’Esprit Saint qui leur est donné. Et cette parole n’est pas une vieille parole : elle tient aujourd’hui et pour chacun d’entre nous.

Des pages se tournent et l’immense livre de la vie s’ouvre à tous. Le nouveau testament ne se referme pas avec le départ du Christ. Il continue à s’écrire à travers la vie de chacun d’entre nous car Dieu agit en nous par son Esprit. Oui, Dieu agit en nous, si tant est que nous acceptions de le recevoir, de laisser son Esprit travailler en nous. Nous voyons que la réception de l’Esprit de Dieu est liée à l’acceptation d’une perte de maitrise de notre part. Cette perte de maîtrise, cet abandon nous amène à appeler Dieu « Abba », Père ! Elle ouvre le lien à Dieu, elle permet à Dieu de faire sa demeure en nous. Cet abandon est riche de fruits.

L’esprit de Dieu est appelé Saint parce qu’il vient de Dieu et retourne à Dieu. Il est feu et souffle, comme nous le voyons dans les Actes des Apôtres. Ces images du feu et du souffle nous disent, à partir de notre expérience ordinaire, cette force de l’Esprit Saint qui vient de Dieu.

Nous ne pouvons pas saisir la flamme d’une bougie ou le mouvement de l’air. Nous ne pouvons pas les attraper, les enfermer, nous les approprier. De même, l’Esprit Saint souffle où il veut ! Ces forces de la nature que sont le feu et le souffle nous transforment et nous font bouger. Elles passent. Et si nous les voyons c’est avant tout par leurs effets ; lumière et chaleur, cheveux ébouriffés en sont leurs marques. Elles passent et viennent d’ailleurs, nous reliant ainsi les uns aux autres, comme l’Esprit nous relie à Dieu et aux autres. L’air que je respire a été respiré par d’autres ; le vent qui souffle sur nos maisons s’est levé quelque part de l’autre côté de la méditerranée. Ces forces de la nature passent et nous ne pouvons qu’en être le réceptacle et être unis par elles.

L’esprit bouscule ; il crée une différence. Nous savons quand nous en sommes le réceptacle ou nous le voyons à l’œuvre chez d’autres personnes. Nous le voyons dans ces gestes de pacification et de générosité sans borne. Le souffle de Dieu est puissance et dilatation, joie et consolation. Il agit en nous et à travers les autres.

Pour le bien de tous, apprenons à nous ouvrir au souffle de l’Esprit ; apprenons à en discerner les fruits en nous et dans les autres ; apprenons à nous édifier les uns les autres en partageant ces fruits de l’Esprit. L’Esprit Saint est là, aujourd’hui ! Laissons-nous bousculer par lui, ouvrons lui notre demeure !

Amen.

25 mai 2016 |

Homélie 7ième dimanche de Pâques C (7-8 mai 2016)

Nous voici quelques jours après l’ascension, où Jésus ressuscité a cessé d’apparaître à ses disciples, et les a envoyés en mission « jusqu’aux extrémités de la terre » ; et une semaine avant la Pentecôte, lorsqu’il enverra sur eux son Esprit qui leur donnera la force de témoigner. Qu’il y a-t-il de commun dans tous les textes que nous venons d’entendre ? C’est sans doute leur manière de parler du retour du Christ, que l’on appelle « la parousie », à la fin des temps, où l’humanité toute entière, enfin libérée, sera emportée auprès de Dieu dans la gloire. Etienne voit, comme par anticipation, cette gloire de Dieu. Il voit Jésus debout à la droite du père. Debout, c’est la position qui signifie la résurrection. Et cette vision lui coûtera la vie, car ce qu’il en décrit est insupportable aux oreilles des juifs auxquels il s’adresse.  Et on peut voir que le récit de sa mort suit avec un étonnant parallélisme celui de la passion et de la mort de Jésus : Après un procès où de faux témoins l’ont accusé de blasphème, comme pour Jésus, Etienne est trainé hors de la ville, comme Jésus car le Calvaire était en-dehors de Jérusalem. Pendant qu’on le lapide, Etienne prie avec le même psaume que Jésus : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (c’est le psaume 30). Enfin, comme Jésus, il meurt en pardonnant à ses bourreaux. « Seigneur, ne leur compte pas ce péché ».

Le psaume 96 que nous avons chanté ensuite proclame lui aussi la gloire de Dieu, roi et maître de toute la terre. L’apocalypse enfin, livre de la Révélation, est tout entier consacré à cette description symbolique de la fin des temps, où l’humanité verra le retour du Christ qu’elle ne cesse d’attendre. Ce livre s’achève d’ailleurs par ses mots, qui sont donc aussi les derniers de la Bible : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »

Nous sommes donc, dans ce 7ème dimanche de Pâques, à la fois dans la joie d’un « déjà là », puisque Christ est ressuscité, qu’il s’est montré à nous et qu’il a rejoint le Père dans sa gloire, et en même temps dans l’attente d’un « pas encore », attente de cette promesse de Jésus qui nous enverra son Esprit Saint au jour de la Pentecôte. « déjà là ; pas encore ». C’est tout le mystère de notre foi chrétienne : nous sommes déjà des ressuscités, mais nous ne le serons de manière totale et achevée qu’à la fin des temps, au retour du Christ. Nous avons, dès ici-bas, à construire un monde à l’image du Royaume de Dieu (c’est le « déjà là »), mais nous savons que ce Royaume ne sera réellement achevé en plénitude, qu’aux fins dernières, au retour du Christ (le « pas encore »). Cette tension entre ce « déjà là » et ce « pas encore », tension qui peut parfois être crucifiante, Jésus nous en donne une des causes principales : notre incapacité à vivre dans l’unité. Son plus cher désir au moment de mourir, « de passer de ce monde à son Père », comme le dit St Jean, c’est que nous soyons unis. Il le répète trois fois dans cette prière pathétique : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. »

Il dit plus loin : « Que leur unité soit parfaite ». Unité, oui, mais pour quoi faire ? « pour que le monde croie », « pour qu’ils contemplent ma gloire » « pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé » répond Jésus.

Être unis. Ce désir de Jésus, c’est aussi le désir de l’homme. De tout homme. Être uni, c’est ne pas rester seul. C’est entrer en relation avec l’autre. C’est connaître quelque chose de l’amour, ce lien si fort qui unit, qui unifie.

« Qu’ils soient un »… Quel immense et beau défi pour un couple que de bâtir une union profonde où tout ce qui affecte l’un affecte l’autre, où le souci de l’autre prend le pas sur le souci de soi dans le respect du mystère de la personne dans son unicité inaltérable ! N’y a t-il pas ici tout un chemin pour le témoignage de l’Église dans le monde d’aujourd’hui ? Des couples se défont, des familles implosent, des enfants souffrent. La prière du Christ nous pousse à prier pour que les couples chrétiens deviennent toujours davantage des foyers de respect et d’unité, de don de soi inconditionnel dans une réciprocité toujours plus grande. Comment bâtir cette image du Dieu trinitaire, ce lieu d’amour – « tous deux ne feront plus qu’un » (Mt 19,5b) – où tous deux se feront grandir l’un l’autre ? Réjouissons-nous de ce que des couples s’engagent sur ce chemin sans que les modèles culturels et familiaux déterminent leur vie mais bien la seule écoute de l’Évangile. Ils bâtissent une unité qui permet à chacun de grandir, de devenir un être unique. « Ce mystère est grand » (Ep 5,32) dira encore Paul.

Jésus, au moment de quitter ses disciples, leur livre la plus efficace des méthodes d’évangélisation : Aimez-vous. Alors vous attirerez les hommes, ils seront curieux de vous, étonnés, saisis, conquis. La prière s’achève. Que demande Jésus pour terminer ? Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi. Ceux que tu m’as donnés : quelle tendresse ! Le Père nous a donnés, confiés à Jésus ! Je veux. C’est le seul « ordre » que, de sa vie, Jésus donne au Père. C’est qu’il y tient. Mais ce qui paraît un ordre n’est, en fait que ce que le Père veut lui-même. Je veux que là où je suis eux aussi soient avec moi. Être avec Jésus, partager son bonheur, contempler sa gloire. Contempler, c’est expérimenter, savourer, être dedans. Expérimenter, non seulement la glorification du Christ-homme, mais tenez-vous bien, être plongé dans la gloire divine de Jésus, celle que, en tant que Verbe, il avait avant même la création du monde. Non une gloire froide, mais ce frémissement, ce feu dont tu m’as aimé depuis toujours.

Chaque fois que nous nous égarons loin des chemins de l’amour, nous sortons de l’unité, et nous faisons l’œuvre du diviseur, du diable, qui déconstruit, sépare, oppose, ce que Dieu construit, rassemble, unit. Par contre chaque fois que nous faisons œuvre d’unité, de réconciliation, de paix, nous permettons à l’Esprit d’étendre le Royaume de Dieu : « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 7). Mais reconnaissons que nous sommes souvent plus actifs sur le chantier de la déconstruction que sur celui de l’édification.

C’est bien pourquoi Jésus prie le Père d’accomplir, par le don de l’Esprit, ce qui est hors de notre portée. Quel mystère que les pécheurs égarés que nous sommes, soient invités à devenir participants de la communion trinitaire ! Le porche d’entrée dans ce mystère est l’accueil de la gloire que Jésus nous donne en partage, c’est-à-dire l’accueil dans la foi, de son amour rédempteur, qui nous fait communier à sa vie filiale.

Ainsi finit cette belle prière « sacerdotale » qui n’a pas sa pareille dans toute l’histoire religieuse de l’humanité. Est-ce encore prière d’homme ? C’est le dialogue du Fils avec le Père, comme devant nous, là. Que dis-je : en nous ! Heureux ceux qui savourent cette prière dans de longs silences et en vivent !

Amen.

Francis ROY, diacre

7 mai 2016 |