Homélie du 26 mars 2016 au (veillée pascale au carmel de Flavignerot)

par Claude Compagnone, diacre


Après le fracas du procès et de la crucifixion de Jésus, le calme est donc revenu sur Jérusalem. Tout est rentré dans l’ordre. Le calme du Sabbat a succédé à l’effervescence ravageuse de la foule. Il fait aujourd’hui silence. Plus de hurlement ni de cri.  Des pleurs seulement. Des pleurs de ceux et celles qui ont perdu celui qui était leur compagnon, leur ami, leur maître. De celles et ceux qui  ont perdu Jésus. Qui ont perdu cet homme aux paroles et aux gestes si forts, cet homme au pouvoir si étrange qu’il l’a utilisé pour les petits, les malades, les exclus. Cet homme était pour les femmes qui se rendent au tombeau ce matin, bon et sans malice. Et il a été profondément et injustement humilié, maltraité et supplicié. C’est cet homme que les femmes ont connu. Un homme de Dieu maltraité par les hommes.

Ces femmes qui se rendent au tombeau n’ont-elles donc pas profondément ancrée en elles la conviction que le monde est injuste ? Que le monde peut être laid et horrible ? Et pourtant elles se remettent en route pour honorer le corps du défunt. Elles veulent agir pour donner au corps de celui qu’elles ont aimé la dignité qui lui revient. Dans ce cycle normal de la vie et de la mort, dans ce mouvement anormal de la crucifixion de cet homme de Dieu juste et bon, une énigme se présente à elles : le tombeau est ouvert et le corps n’est plus là. Elles ne savent pas quoi en penser, nous dit l’évangéliste. On imagine tout à la fois leur perplexité, leur crainte, leur colère face à un tel fait. L’absurdité et l’horreur des événements qu’elles viennent de vivre se poursuivraient-elles donc ? La vie ne peut-elle reprendre normalement ? La folie destructrice continue-t-elle ?

Et c’est là que s’opère pour elles une rencontre et un déplacement radical. Ces moments insensés, idiots, absurdes, délirants, de la crucifixion de l’homme juste et bon, et de la disparition de son corps, prennent tout d’un coup leur sens. Elles sont accompagnées dans ce mouvement par deux hommes aux vêtements éblouissants qui leur parlent. Ces deux hommes par leurs mots soignent ces femmes meurtries par les événements. Ces deux hommes les éclairent. Ils leur donnent la lumière. Ce qui était complètement hors de leur pensée, parce qu’elles se sont heurtées à la dure réalité de la violence et de la mort, leur revient alors en tête. Il fallait que le Christ soit crucifié et qu’il ressuscite. A l’idée de l’horreur et de la noirceur de la vie succède celle d’une éblouissante évidence : Jésus est ressuscité, il est le Christ. Il ouvre le chemin de la vie aux hommes.

On imagine la transformation de leur profonde détresse en exultation joyeuse. Elles ne rêvent pas. Elles sont plusieurs à faire ensemble cette expérience de guérison. Pour elles, il faut le dire, le faire savoir, le hurler sur tous les toits. Tout ce qu’elles ont vécu, tout ce dont elles ont été témoins, n’était pas absurde. Tout cela n’était pas insensé. On imagine comment en un retournement fulgurant leur douleur se transforme en allégresse, comment s’installe entre ces femmes une communion de joie. C’est le monde en enfantement qu’elles comprennent. Comme dans l’enfantement de mère la douleur première de la crucifixion de Jésus se transforme en une immense exultation de la vie. Ne sont-elles pas les mieux placées, en tant que femmes, pour vivre ce retournement ? Les apôtres, eux, mettront un peu plus de temps à le vivre…

Comme ces femmes, soyons plein de gratitude pour celui qui considère notre vie comme ayant une telle valeur qu’il a donné la sienne. Comme un sauveteur il a plongé dans l’écume des eaux noires pour nous sauver de la noyade. Il a pris le risque de l’humiliation, de l’abandon et de la souffrance. Tout simplement parce que nous sommes hommes, tout simplement parce que nous sommes vie, tout simplement parce que nous en valons le coup. Comment ne pas être plein de reconnaissance jusqu’aux larmes de ce geste fou de celui à qui l’on n’osait même pas demander quoi que ce soit, et qui gratuitement nous permet de vivre, de grandir, de nous dilater. Nous vivons ainsi à certains moments de notre vie ce sentiment puissant de gratitude envers un parent, un ami, un éducateur ou parfois un étranger. Croyant en nous ou en chaque homme, cette personne nous a sauvés ou nous a fait grandir. Toute notre vie nous lui en sommes reconnaissants.  Nous lui devons tant.

Apprenons donc chaque jour à cultiver cette gratitude envers notre Seigneur. Prenons conscience de son geste fou à notre égard. Apprenons à le regarder avec une immense reconnaissance. Laissons ainsi éclater notre joie ! Faisons céder les digues de la tristesse ! Vivons jour après jour une gratitude débordante ! Le Christ est ressuscité ! Alléluia !

11 avril 2016 |

Homélie 2ième dimanche de Pâques C (02-03/04/2016)

Il y a quelques années, j’avais été interpellé par un commentaire de François Garnier, archevêque de Cambrai, paru dans le journal « Le Pèlerin » sur l’évangile du dimanche de la Miséricorde : « Au ciel, on ne te demandera pas tes médailles, mais tes cicatrices…, ces traces qui restent sur le corps et sur le coeur; ces signes qui racontent les risques pris et les coups acceptés par amour de Dieu et des autres. » Bien que couvert de cicatrices dues à des accidents ou opérations, il me semblait qu’elles ne correspondaient pas du tout à celles dont parlait François lorsqu’il interpellait les apôtres de l’évangile.

Pourtant, mes blessures étaient ma fierté, j’avais surmonté tous les incidents ou accidents. Rien ne pouvait m’arriver ! J’étais assez fort pour pouvoir faire face, je n’avais besoin de personne. Survient l’appel à une ordination diaconale. Pour m’y préparer je m’inscris avec mon épouse à une retraite ignacienne de trente jours. Et dès le premier jour mon accompagnateur me demande de lui préparer un résumé de ma vie de foi. Après une heure de rédaction je reviens présenter mon travail. Mon accompagnateur le lit attentivement et me dit simplement : « c’est fort beau, mais ce n’est pas toi. Repars réécrire ta présentation et reviens me voir quand tu auras fini. » J’ai pris mon temps et je suis revenu fier de moi. Bilan : « c’est formidable, mais ce n’est toujours pas toi. » Les aller et retour avec le même résultat ont duré trois jours. J’étais de plus en plus en colère et j’ai failli partir. Mais le Seigneur a fait craquer ma carapace et c’est en pleurs que j’ai fini par reconnaître cette énorme blessure d’orgueil qui m’habitait.

Mais revenons à nos apôtres : ils sont verrouillés, cadenassés, calfeutrés, enfermés à double tour, retranchés, barricadés, terrés : ils ont peur ! Jésus n’a pas su se défendre. Ils ne peuvent pas compter sur lui. Ils vont maintenant devenir la cible des ennemis du maître. Prudence donc, faisons-nous oublier. Les apôtres sont bien des hommes comme nous, de pauvres hommes. Posons-nous donc la question en vérité de savoir si nous sommes, comme eux des disciples poules-mouillées, ou bien des témoins audacieux envoyés du seigneur ?

C’est vrai qu’il n’est pas facile d’être chrétien dans notre monde d’aujourd’hui. Pas facile d’affronter les moqueries d’un monde qui attaque avec assurance Dieu, l’Église, le Pape, les chrétiens. Pas facile c’est vrai d’entendre un ami vous dire : « J’ai été renversé par une voiture. Ma vie est détruite. Pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu ? » Et cet autre ami incroyant qui interroge : « Regarde ceux qui ont faim, à coté de toi. Comment est-il possible que Dieu soit Père ? »

Nous sommes souvent confrontés à ce mystère du mal et il n’est pas simple d’y répondre. Nous sommes prudents, trop prudents ! Le monde ne crève-t-il pas de ne plus voir la lumière du ressuscité à cause des murs que nous élevons en pensant nous protéger. Restons-nous des chrétiens du vendredi saint qui s’arrêtent à la croix en oubliant la lumière, le dynamisme, l’étourdissant réveil de Pâques ? Ce jour-là, il y a deux mille ans, aujourd’hui encore, et tous les jours, le Christ nous dit : « La paix soit avec vous ! » Par cette simple phrase, le Christ nous signifie qu’il est vivant, qu’il est présent à nos cotés. Comment alors continuer à trembler, comment, le sachant à nos cotés, ne pas sentir sa force dynamisante nous transformer en missionnaires de la Bonne Nouvelle ?

Le Christ, en ces jours de Pâques, nous demande d’abandonner nos blockhaus, et nous envoie en mission comme les apôtres. Que signifie cet envoi ? A la lumière de Pâques, envoyés veut dire, sans ambiguïté, devenir des porteurs de paix : « La paix soit avec vous ! » Jésus rejoint les apôtres là où ils en sont. Et ses premières paroles sont un message de paix. Il aurait pu leur rappeler leur abandon, leur manque de foi, leur infidélité. Mais Jésus ressuscité n’a pas cherché à le punir ni à lui faire des reproches. Il n’a pas exigé des excuses. Bien au contraire, sa grande préoccupation a été de pacifier leur cœur. Il porte sur eux un regard miséricordieux. Tout l’Évangile nous le montre relevant celui qui est tombé. Il veut le libérer de ce mal dans lequel il s’est enfoncé. Lui-même a dit, un jour, qu’il était venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus.

Dans un deuxième temps, Jésus montre ses plaies à ses disciples, celles de ses mains, de ses pieds et de son côté. Il ne les montre pas comme un reproche mais comme une preuve d’amour. Jésus a été « blessé d’amour ». C’est en contemplant ses blessures que nous comprenons à quel point Dieu nous aime. « Là où le péché a abondé, l’amour a surabondé ». Nous n’aurons jamais fini de rendre grâce pour cet amour inépuisable qui est en Dieu.

Jésus ressuscité nous apprend un amour bien plus fort que toutes les blessures infligées. Avec lui, ces traces deviennent le signe d’un amour qui se laisse toucher. Elles nous montrent à quel point Jésus nous a aimés : « Le Seigneur nous a aimés comme on n’a jamais aimé… Son amour était si fort qu’il en mourut sur une croix. »

En continuant la lecture de cet Évangile, nous découvrons que Jésus fait une chose encore plus incroyable : il envoie ses disciples en mission. Il aurait pu dire : « Non, je ne peux pas compter sur eux… ils ne sont pas fiables. » Or voilà que, malgré leur trahison, il leur redit toute sa confiance. Il leur donne son Esprit Saint. Et surtout, il les institue comme ministres de son pardon. Il aurait pu commencer par régler ses comptes. Il aurait pu également vérifier s’ils avaient bien compris la leçon. Rien de tout cela, bien au contraire : il s’adresse à des pécheurs pour leur confier ses richesses. Il les envoie pour donner son pardon. La miséricorde ne connaît pas la méfiance ni la prudence. Elle espère contre toute espérance.

C’est grâce à cette rencontre avec Jésus que les apôtres ont pu annoncer la bonne nouvelle. Les grands témoins de la foi sont des pécheurs pardonnés. Le Seigneur est toujours là : il nous rejoint dans nos épreuves et nos doutes. Le mal, la haine et la violence qui accablent de nombreux chrétien n’aura pas le dernier mot. Et si nous venons à tomber, le Seigneur est toujours là pour nous relever et nous remettre en route.

Cette paix reçue du Christ, chaque chrétien doit la transmettre à ses frères en humanité, quels qu’ils soient. Cette paix reçue nous transforme en porteurs d’amour, un amour toujours inventif, trouvant des raisons illimitées de servir, comme le soulignait le père Rhodain, fondateur du Secours Catholique. Cette paix reçue nous transforme en porteurs de pardon. En ce dimanche de la miséricorde soyons humblement, instruments de la miséricorde divine. Cette paix reçue nous institue porteurs de foi et d’espérance.

Et dans notre coeur que résonne en permanence : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Sachons comme Thomas confesser ce cri unique qui nous fait entrer dans la relation avec le Christ, tout ressuscité qu’il est désormais. Car sa Résurrection ne l’éloigne pas de nous, bien au contraire. La relation est annoncée en tout lieu, temps et circonstance. Essayons tout simplement de dire à notre tour, comme par un miracle d’amour et de désir : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Non dans un possessif d’exclusion ou de repli, mais dans la joie de n’être plus jamais séparé de « Celui que mon coeur aime ».

Amen

Francis ROY, diacre

4 avril 2016 |