par Claude Compagnone, diacre
Après le fracas du procès et de la crucifixion de Jésus, le calme est donc revenu sur Jérusalem. Tout est rentré dans l’ordre. Le calme du Sabbat a succédé à l’effervescence ravageuse de la foule. Il fait aujourd’hui silence. Plus de hurlement ni de cri. Des pleurs seulement. Des pleurs de ceux et celles qui ont perdu celui qui était leur compagnon, leur ami, leur maître. De celles et ceux qui ont perdu Jésus. Qui ont perdu cet homme aux paroles et aux gestes si forts, cet homme au pouvoir si étrange qu’il l’a utilisé pour les petits, les malades, les exclus. Cet homme était pour les femmes qui se rendent au tombeau ce matin, bon et sans malice. Et il a été profondément et injustement humilié, maltraité et supplicié. C’est cet homme que les femmes ont connu. Un homme de Dieu maltraité par les hommes.
Ces femmes qui se rendent au tombeau n’ont-elles donc pas profondément ancrée en elles la conviction que le monde est injuste ? Que le monde peut être laid et horrible ? Et pourtant elles se remettent en route pour honorer le corps du défunt. Elles veulent agir pour donner au corps de celui qu’elles ont aimé la dignité qui lui revient. Dans ce cycle normal de la vie et de la mort, dans ce mouvement anormal de la crucifixion de cet homme de Dieu juste et bon, une énigme se présente à elles : le tombeau est ouvert et le corps n’est plus là. Elles ne savent pas quoi en penser, nous dit l’évangéliste. On imagine tout à la fois leur perplexité, leur crainte, leur colère face à un tel fait. L’absurdité et l’horreur des événements qu’elles viennent de vivre se poursuivraient-elles donc ? La vie ne peut-elle reprendre normalement ? La folie destructrice continue-t-elle ?
Et c’est là que s’opère pour elles une rencontre et un déplacement radical. Ces moments insensés, idiots, absurdes, délirants, de la crucifixion de l’homme juste et bon, et de la disparition de son corps, prennent tout d’un coup leur sens. Elles sont accompagnées dans ce mouvement par deux hommes aux vêtements éblouissants qui leur parlent. Ces deux hommes par leurs mots soignent ces femmes meurtries par les événements. Ces deux hommes les éclairent. Ils leur donnent la lumière. Ce qui était complètement hors de leur pensée, parce qu’elles se sont heurtées à la dure réalité de la violence et de la mort, leur revient alors en tête. Il fallait que le Christ soit crucifié et qu’il ressuscite. A l’idée de l’horreur et de la noirceur de la vie succède celle d’une éblouissante évidence : Jésus est ressuscité, il est le Christ. Il ouvre le chemin de la vie aux hommes.
On imagine la transformation de leur profonde détresse en exultation joyeuse. Elles ne rêvent pas. Elles sont plusieurs à faire ensemble cette expérience de guérison. Pour elles, il faut le dire, le faire savoir, le hurler sur tous les toits. Tout ce qu’elles ont vécu, tout ce dont elles ont été témoins, n’était pas absurde. Tout cela n’était pas insensé. On imagine comment en un retournement fulgurant leur douleur se transforme en allégresse, comment s’installe entre ces femmes une communion de joie. C’est le monde en enfantement qu’elles comprennent. Comme dans l’enfantement de mère la douleur première de la crucifixion de Jésus se transforme en une immense exultation de la vie. Ne sont-elles pas les mieux placées, en tant que femmes, pour vivre ce retournement ? Les apôtres, eux, mettront un peu plus de temps à le vivre…
Comme ces femmes, soyons plein de gratitude pour celui qui considère notre vie comme ayant une telle valeur qu’il a donné la sienne. Comme un sauveteur il a plongé dans l’écume des eaux noires pour nous sauver de la noyade. Il a pris le risque de l’humiliation, de l’abandon et de la souffrance. Tout simplement parce que nous sommes hommes, tout simplement parce que nous sommes vie, tout simplement parce que nous en valons le coup. Comment ne pas être plein de reconnaissance jusqu’aux larmes de ce geste fou de celui à qui l’on n’osait même pas demander quoi que ce soit, et qui gratuitement nous permet de vivre, de grandir, de nous dilater. Nous vivons ainsi à certains moments de notre vie ce sentiment puissant de gratitude envers un parent, un ami, un éducateur ou parfois un étranger. Croyant en nous ou en chaque homme, cette personne nous a sauvés ou nous a fait grandir. Toute notre vie nous lui en sommes reconnaissants. Nous lui devons tant.
Apprenons donc chaque jour à cultiver cette gratitude envers notre Seigneur. Prenons conscience de son geste fou à notre égard. Apprenons à le regarder avec une immense reconnaissance. Laissons ainsi éclater notre joie ! Faisons céder les digues de la tristesse ! Vivons jour après jour une gratitude débordante ! Le Christ est ressuscité ! Alléluia !