Chaque fois où j’entends cette parole de remercier, ou de rendre grâce, ou de louer, louanger, chaque fois ou presque me vient un slogan publicitaire que l’on voit sur des véhicules de location : « louer, c’est la liberté », ou bien « louer rend libre », je ne sais plus trop, mais je sais que j’aime détourner le slogan en lui donnant un autre sens : c’est la louange qui rend libre, c’est chanter la gloire de Dieu… ou chanter les louanges d’un être humain… Bref, dire du bien de quelqu’un, c’est ce qui vous rend libre.
C’est comme cela que je comprends la parole de Jésus à l’homme lépreux samaritain qui est venu le remercier. Il n’y a aucune raison de penser que sur les 10 hommes malades, il n’y en ait eu qu’un de guéri, et pas les neuf autres… Vous savez bien qu’avec Jésus, là où il y en a pour un, il y en a pour 10 et plus, et bien plus jusqu’à l’infini… Mais si Jésus dit que 10 ont été guéris, c’est à celui-là seul qu’il affirme le salut, à celui avec qui il a pu entrer dans une relation de dialogue personnel.
Être guéri et être sauvé, apparemment, ce n’est pas la même chose, et je me demande si les neuf autres s’en sont bien rendu compte. Ils étaient guéris, c’est tout. Ce n’est pas mal mais c’est tout, et ça s’arrête là. Quand on est guéri, on peut retomber malade — et de fait, on retombe malade — ; quand on est sauvé, c’est pour toujours. Être guéri vous ramène en vous-même — c’est bien, mais c’est limité ; être sauvé vous conduit à Dieu — et même vous conduit en Dieu, à l’intérieur de lui-même.
C’est pour cela que le merci est si important.
Dire merci, c’est s’arrêter dans la course de l’existence ; c’est ce retourner en arrière, comme ici avec le samaritain qui revient auprès de Jésus. C’est s’arrêter pour regarder d’où viennent les choses, et de qui. C’est prendre le temps de la connaissance et de la reconnaissance. C’est un arrêt sur image, comme on dit, qui permet de mieux comprendre une situation, et c’est bien plus puisqu’il s’agit de comprendre la dynamique d’un événement, de voir d’où il vient et pour quoi/pour qui il nous vient. Pas simplement le décrire, mais le situer dans une histoire. Là encore, pour prendre les termes contemporains, il s’agit de pouvoir en faire le récit, d’en donner l’intelligence.
Et je nous rappelle que l’intelligence est un don du Saint Esprit…
Prendre le temps de dire merci signifie qu’il y a pour nous plus important que l’immédiat. Il y a l’autre que nous remercions du don qu’il nous a fait. Il y a l’autre qui a pris du temps pour nous. il y a la l’énergie d’espérance qu’il nous a donnée, il y a sa confiance… si vous regardez parfois la télévision, peut-être avez-vous vu une série sur une femme d’État danoise : sans doute avez-vous remarqué que les gens, même s’ils sont pressés, quand ils quittent la table des repas, remercient « merci pour le repas » ?…. Tak for maten …
Remercier, c’est faire entrer en nous une partie de la générosité de l’autre. C’est communier à lui.
Fortement, c’est comme le temps de la prière au cours de la journée. On a toujours 36 000 choses à faire qui sont très importantes, dit-on ; on réserve la prière à quand on aura le temps, quand on ne sera pas pris par le temps, ou les gens, ou les choses.
La prière c’est pour quand on n’a rien de plus sérieux ; la prière ce n’est pas sérieux ; Dieu, ça n’est pas sérieux…
La prière fait une percée dans notre esprit de sérieux, elle est une trouée dans le maquis de nos occupations. Dire merci ou prier c’est un appel d’air… Qui déplaît à ceux qui n’aiment pas les courants d’air…
Mais je nous rappelle que l’Esprit Saint est le souffle violent de Dieu qui nous sort de nos sécurités tout autant qu’il est le souffle fragile tributaire de notre liberté…
Alors, je voudrais dire que le fait de remercier nous introduit dans la manière d’être de Jésus en personne. Sous l’action de l’Esprit-Saint, il bénit le Père d’être le Père des petits et des pauvres, il rétablit en dignité la femme qui lui offre de l’eau, il annonce le pardon à celle qui pleure des manques d’amour. Dans le feu de l’Esprit Saint, il réunit ses disciples pour chanter avec eux le grand psaume de la Pâque. Il fait Eucharistie — action de grâces — au moment de passer vers le Père : il passe à Dieu, il passe au Père, bien plus qu’il ne meurt.
Oui, car mourir c’est quitter le passé, c’est renoncer au passé — alors que Jésus va positivement en avant. Son remerciement au Père est comme l’action de Moïse faisant traverser son peuple. Jésus fait traverser son peuple. le merci et la pâque se confondent.
Dire merci est le signe que l’on est entré dans la résurrection. Qu’elle est entrée en vous.
C’est cela, le salut.
Et … Merci à vous de m’avoir ainsi supporté !