Nouvelles de Jérusalem #10

L’hiver à Jérusalem

Après un mois de janvier plutôt ensoleillé et sec, l’hiver s’est installé avec le froid et la pluie. Une vraie pluie qui tape dru sur les velux des chambres, et réveille parfois la nuit, quand ce n’est pas l’orage qui gronde comme en été en France. Certains ont ressenti le tremblement de terre qui a ravagé la Turquie et la Syrie. Pas moi. Mais les prévisions des tremblements de terre à venir m’inquiètent plus que la possibilité d’une troisième Intifada. Celle-ci aurait des raisons de se produire et la visite du samedi des Dominicains à Taybeh en donne quelques motifs.

Taybeh et sa brasserie

La brasserie de Taybeh de la famille Khouri nous est présentée par la fille du propriétaire. Celui-ci est parti étudier aux USA avec son frère et a appris là-bas à faire de la bière. Passionné, il a dit à son père, qui espérait le retour de ses fils, qu’il ne reviendrait à Taybeh que pour monter une brasserie. Le père a alors réussi à obtenir de Yasser Arafat le droit d’acheter un terrain et de faire construire ce qui allait devenir la brasserie de Taybeh. Depuis, c’est une entreprise familiale qui emploie quinze salariés et fait connaitre la Palestine et ses chrétiens dans le monde entier. Car Taybeh est un village de chrétiens des origines. Ce village s’appelait Éphraïm et il est cité dans l’évangile de Jean, 24, 11 : Jésus vient s’y reposer avant de retourner à Jérusalem pour y vivre sa Passion. Il faut 30 minutes pour aller à Taybeh en voiture depuis Jérusalem, mais 2h30 en bus à cause du checkpoint. Le village n’est pourtant qu’à 30 kilomètres de Jérusalem. La plupart du matériel utilisé dans la brasserie vient d’Europe, les bouteilles en verre, les capsules, les machines…La confection de la bière (il en existe de nombreuses sortes) est l’occasion de s’intéresser au problème de l’eau en Palestine. A Taybeh, les villageois peuvent être privés d’eau pendant dix jours l’été, car elle est rationnée et seuls les colons juifs alentour y ont accès en permanence. C’est un problème pour la brasserie. Le passage des checkpoints est également un obstacle à un commerce fluide avec l’étranger. Nous réalisons que l’administration israélienne peut vraiment être un casse-tête pour les Palestiniens.

Taybeh, un village chrétien depuis les origines

C’est le père Olivier Catel, dominicain originaire de Dole dans le Jura qui nous raconte l'histoire du village. Ephraïm devient « Taybeh », « la délicieuse » au 12ème siècle. C’est bien avant, au 5ème siècle, que l’église Saint Georges est édifiée et nous en visitons les ruines. Sur les linteaux de la porte, on voit des traces de mains : encore aujourd'hui les chrétiens de Taybeh viennent ici sacrifier un mouton, dont la chair est donnée aux pauvres du village. Avec le sang, ils tracent des croix ou posent leurs mains sur les linteaux en priant lors d’un évènement familial. C’est une coutume très ancienne, qui date du temps d’avant les hébreux. Saint Georges dont la dévotion est grande en Israël et dans le monde chrétien en général, était un militaire du 3ème siècle réputé pour tuer les pillards perses qui s’en prenaient aux familles de Saint Jean d’Acre. Ces pillards étaient surnommés « les dragons », d’où les statues qui montrent Saint Georges tuant un dragon.

L’église orthodoxe Saint Georges, elle, date du début du 20ème siècle. Elle est richement décorée, et dans une sorte de sacristie, qui est aussi une chapelle pour les services quotidiens, nous découvrons un « tombeau du Christ » chaque année porté en procession dans l’église principale pour les célébrations de Pâques.Une croix installée comme une icône est révérée car elle comporte en son centre un tout petit morceau de la croix du Christ, offert par une paroisse italienne qui en détenait un bout plus gros (sic). 

Taybeh et la grotte d’Elie.

Malgré le froid et grâce à la pluie, les gens de Taybeh disent que le « petit printemps » est arrivé : l’herbe reverdit, les fleurs apparaissent, les oiseaux pépient, l’odeur de la sève montante domine. Contrairement aux Dominicains, le père Donat qui m’a conduit à Taybeh tenait absolument à se rendre près de la grotte d’Elie. Nous l’avons donc cherchée avec l’aide d’un paroissien orthodoxe et trouvée grâce à l’intuition de Yalon, un jeune avocat juif de Tel Aviv qui faisait partie de l’expédition. Quelle joie d’écouter le père nous raconter l’histoire de ce prophète emmené au ciel sous les yeux de son disciple ! Le regard tourné vers le paysage reverdi de la campagne environnante, avec au fond les collines plantées d’oliviers et derrière nous la Mer Morte et les montagnes de Jordanie, l’instant était propice à la méditation.

La visite des musées de la Custodie et le troisième temple.

Sur une idée de Baptiste et du père Jean Claude, nous sommes allés visiter le musée du troisième temple un dimanche après-midi à Jérusalem. Aucune photo possible, le projet de ces Juifs qui rêvent de rebâtir le temple est bien gardé.  Il émane de riches évangéliques américains qui donnent beaucoup d’argent pour expliquer et recréer les objets de culte tels qu’ils sont décrits dans la Bible. On peut y voir une maquette du « futur » temple, très moderne, avec même un téléphérique qui part du Mont des Oliviers. Baptiste préfère en rire plutôt que de s’inquiéter pour le jardin des Bénédictines ! Nous repartons avec un sentiment mitigé : ces juifs y croient-ils vraiment ?

Le jeudi suivant, un juif américain détruit une statue du Christ dans la chapelle de la condamnation, sur la via Dolorosa. J’y passe justement pour visiter les musées de la Custodie. Je suis impressionnée par l’expérience multimédia qui met en valeur les vestiges de la forteresse Antonia, et tous les objets exposés, d’époque cette fois, qui racontent la vie au temps de Jésus.

La Chandeleur à l’hôpital et à Saint Pierre en Gallicante

Février, c’est le temps des crêpes et nous ne nous en privons pas. A l’hôpital, j’apprends à Hamsa à les faire sauter et les patients se régalent. Nous fêtons ainsi la Chandeleur un matin pour respecter la cacherout : selon les règles alimentaires juives, il faut attendre une heure pour manger de la viande après un aliment lacté, et trois heures pour le contraire ! Simone, la diététicienne juive de l’hôpital, nous le confirme. A Saint Pierre en Gallicante, c’est Blandine et sa famille qui nous invitent, un soir. Moi j’apporte de la soupe à l’oignon, bien appréciée par les temps qui courent !

La visite de la crèche de Sainte Rachel

J’ai enfin répondu à l’invitation de Marie, volontaire à Sainte Rachel, auprès des petits de la crèche. C’est à vingt cinq minutes à pied de l’hôpital et je m’y rends un dimanche matin ensoleillé. Le weekend, ici, c’est le vendredi et le samedi en général. Le dimanche, les mères, principalement venues d’Éthiopie, des Philippines, d’Érythrée ou du Sri Lanka, travaillent et laissent leurs enfants aux bons soins de deux volontaires et trois salariées. Les petits peuvent ainsi apprendre l’hébreu et être prêts pour suivre au mieux à l’école par la suite. Marie, elle, apprend avec les enfants et connaît déjà bien les principales comptines !

La musique : Idit, la flûte et la préparation des messes de Pâques.

Les répétitions avec la chorale du Magnificat ont repris. Nous chanterons lors des célébrations de la semaine pascale au Saint Sépulcre et à Géthsémani. Un groupe de trente choristes polonais nous accompagnera ! La pression est donc forte et nous avons du pain sur la planche. Baptiste, Henri et Chrysostome nous ont rejoints pour renforcer le groupe des ténors et des basses.

A l’hôpital, je suis encouragée par Idit, professeur de flûte, qui offre une matinée de son temps aux patients. Elle m’a donnée des partitions à étudier pour jouer en duo. Je pense à Audrey, ma prof de flûte au conservatoire de Dijon : grâce à Idit, je vais quand même continuer à progresser ! Et j’ai trouvé en rangeant la bibliothèque des partitions de chansons traditionnelles juives de différents pays de la diaspora : quelle joie d’entendre chantonner Daniel et Abraham ! Tandis que Halil l'infirmier souhaiterait plutôt des airs palestiniens !

Le Covid à l’hôpital

Une fois par semaine un organisme du ministère de la santé vient tester les malades, les salariés et le volontaires qui le souhaitent. Nous avons toujours au moins un patient confiné chaque semaine dû au Covid. C’est mon tour ces jours-ci. Par chance, je n’ai pas de fièvre, juste de gros ganglions douloureux. Ce sera donc un temps de repos qui me permettra de réviser mes cours d’hébreu et de vous envoyer mes nouvelles dans les temps. Il parait que la grippe sévit en France. Alors, prenez soin de vous ! Avec l'aide de Marie et de Saint Georges?

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