Homélie du 8e dimanche ordinaire C (3 mars 2019)

par Francis ROY, diacre,


Les lectures de ce dimanche nous réservent un changement de perspective important par rapport aux autres dimanches : elles sont bien la Parole de Dieu, sous la forme de la littérature de sagesse (première lecture) ou d’exhortations évangéliques (saint Luc) ; mais leur thème est… la parole humaine, avec ses grandeurs et ses ombres, puisqu’elle peut servir tout aussi bien à transmettre l’Évangile et à consoler, qu’à répandre l’erreur et à assassiner le prochain par la médisance.

Laissons-nous interpeller par les paroles de Jésus dans l’évangile : « Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ! ». Tout jugement humain est téméraire. Seule l’humilité et un travail de conversion incessant permettent d’être dans la vérité et d’avancer sur le chemin de la sainteté.

Le jugement est un regard, parfois traduit en parole, qui nous fait évaluer notre prochain, le plus souvent à son détriment, en identifiant ce que nous pensons être ses défauts. Or tout jugement est téméraire. Il est nécessairement fondé sur une erreur. Nous croyons voir clairement en l’autre, connaître ses motivations et ses sentiments. Or, nous ne connaissons jamais totalement les personnes, fussent-elles nos intimes. Elles-mêmes se connaissent d’ailleurs imparfaitement. Seul Dieu créateur et omniscient lit clairement dans les cœurs. Jérémie dit que Dieu « pénètre les cœurs et scrute les reins » (Jr 17,10). Il existe, dans l’âme de chaque personne, un lieu inviolable où seul Dieu pénètre. Soyons donc sûrs qu’il nous manque des éléments déterminants pour évaluer les actions d’autrui et cessons de juger.

Juger revient à enfermer l’autre dans son péché, à le réduire à ses défauts. Or, l’être humain est toujours plus grand que son péché car il porte en lui l’image du Créateur, qui le faire tendre vers le bien, même si cette image est défigurée. Tout homme peut devenir autre et sortir de son péché. Cela, seul Dieu peut le mesurer. Nous avons tous commis des actes dont nous dirions volontiers : cela ne me ressemble pas, ce n’est pas moi. Et cela est vrai. Nous avons tous de petits travers, agaçants pour autrui, mais qui ne rendent pas compte de la beauté de notre vie. Nous n’aimerions pas être réduits à ces seuls actes, à ces seuls travers, alors agissons en conséquence à l’égard de nos frères et voyons en priorité ce qui est beau chez eux. Si nous ne le voyons pas, demandons que Dieu nous le révèle par un événement, une parole de ce frère. Dieu nous exaucera rapidement et nous serons alors confus de l’avoir si vite jugé.

Par ailleurs, juger revient à prendre la place de Dieu, nous prendre pour lui. C’est se placer en position de supériorité au-dessus de nos frères, comme si nous avions une pleine connaissance et une pratique certaine du bien et du mal. La réalité, nous le savons, est toute autre. Nous sommes pécheurs. De plus, à chaque fois que nous dénonçons un travers chez un frère, nous sous-entendons en réalité que nous sommes meilleurs que lui. Il y a donc orgueil et volonté de domination. Nous prenons souvent pour prétexte la défense de la morale ou de la justice : nous aimerions que ce frère se convertisse. Si c’est bien le cas nous pouvons le vérifier facilement de deux manières : une tendresse particulière pour ce frère qui nous porte à prier pour lui, voire à lui parler discrètement (correction fraternelle) et une absence totale de bavardage à son sujet.

L’engagement à la perfection, ne libère pas de ce vice du jugement. Nous commettons très facilement ce péché mais c’est une véritable poutre qui nous rend aveugles.

Il est important que nous renoncions définitivement à nous critiquer entre frères. Ce dimanche peut être l’occasion pour chacun d’entre nous d’en prendre solennellement la résolution. Renoncer à la critique dans nos familles, nos groupes d’amis et tous nos lieux de vie est primordial car rien de grand ne s’y fera, l’Esprit Saint ne pourra y résider.

« À trop regarder la bosse du dromadaire on en oublie être un chameau ». Cet amusant proverbe nous rappelle que le texte de l’évangile du jour fait plus que nous inciter à ne pas juger. Il nous invite à retirer la poutre qui est dans notre œil, c’est-à-dire à nous convertir sans cesse. Avant toute chose, il faut prendre soin de bien former sa conscience.

Nous pourrons aussi faire acte d’humilité, notamment à l’occasion d’une confession, en demandant au Seigneur de nous révéler les péchés que nous ne voyons pas ou ne considérons pas graves. Cette prière reste rarement sans réponse et peut même nous secouer un peu. Le curé d’Ars avait demandé un jour à Dieu de lui montrer sa misère et avouait qu’il avait failli désespérer. Il conseillait donc de lui demander seulement de « nous montrer un peu notre misère »…

Le sacrement de réconciliation, reçu régulièrement et précédé d’un examen de conscience sérieux, est sans doute la meilleure façon de progresser dans la lucidité sur soi-même et la sensibilité à son propre péché. Nous sommes tous aveugles : au lieu de nous juger mutuellement, de nous scandaliser du mal des autres, ou de vouloir tout réformer par nous-mêmes, commençons… par prier humblement les uns pour les autres. Souvenons-nous des paroles de Jésus, lors de l’épisode de l’aveugle-né en Jean 9 : « Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure » (Jn 9, 40-41)

Humblement, permettez-moi de terminer ce commentaire par la prière de St François d’Assise devant le crucifix de Saint Damien, pour demander la grâce d’être éclairés :

 

« Dieu Très-Haut et glorieux,

Illumine les ténèbres de mon cœur ;

Et donne-moi Seigneur

La foi droite,

L’espérance certaine et la charité parfaite,

Le sentir et le connaître,

Afin que j’accomplisse ton commandement saint et véridique.

Amen. »

3 mars 2019 |

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