homélie du dimanche 13 août 2017

par Francis ROY, diacre

 

En écoutant les lectures de ce dimanche, on pourrait se demander quel rapport il peut y avoir entre l’histoire du prophète Elie racontée dans la première lecture, et cet épisode de l’évangile où Jésus rejoint ses disciples en marchant sur l’eau. Pourquoi l’Église nous propose-t-elle aujourd’hui d’écouter ensemble ces deux textes ?

L’évangile est la suite immédiate du passage de la semaine dernière où Jésus avait multiplié les pains pour une très grande foule. Nous lisons aujourd’hui qu’aussitôt après, il ordonne aux disciples de s’en aller par le lac pendant que lui renverrait les foules. Étonnant, non ? Pourquoi cet empressement à éloigner ses disciples de la foule ? Cette foule, c’est celle qui vient de vivre un grand miracle, qui a reçu à manger en abondance, nourris par la puissance d’un seul homme. Toutes ces personnes veulent faire de cet homme leur roi, un chef politique puissant qui chassera l’occupant romain et rétablira le royaume d’Israël.

L’enthousiasme de cette foule est grand. Nous pouvons avoir une idée de ce qu’est l’enthousiasme d’une foule, nous qui vivons dans une époque où les rassemblements de foules sont si fréquents, que ce soit pour des événements sportifs, culturels ou sociaux. Nous connaissons aussi le danger potentiel de ces rassemblements, avec les débordements parfois dramatiques qu’ils favorisent. Jésus veut préserver ses disciples de ces phénomènes de foules qui nous font parfois perdre la raison en suivant un mouvement presque malgré

nous. N’oublions pas que c’est cette même foule qui criera, quelques temps plus tard, « crucifie-le ! » entraînée par seulement quelques meneurs. Jésus décide donc d’éloigner ses disciples immédiatement. Il leur commande de passer sur l’autre rive. Quant à lui, il se charge de renvoyer les gens, de disperser la manifestation. Puis il s’en va à son tour, mais seul, à l’écart, dans la montagne, pour prier. Comme le prophète Elie, dans la première lecture, s’était enfui dans la montagne, lieu symbolique où Dieu rejoint l’homme.

Dans les évangiles, chaque fois qu’on lit que Jésus s’éloigne pour prier, c’est qu’il va se passer quelque chose de très important. Pendant ce temps-là, ses disciples sont, dans la nuit, seule et désemparés dans la barque chahutée par les vents contraires. Combien de fois n’avons-nous pas nous-mêmes vécu ces moments d’angoisse, dans la nuit de nos doutes ; ces moments où les événements menacent de nous déstabiliser, où la marche du monde nous fait craindre le pire. Ces moments où la souffrance nous fait vaciller, ces instants où la peur nous aveugle, où le découragement nous anéantit. Quand nous nous croyons seuls sur notre barque face à des vents contraires, que la nuit nous paraît interminable, et que nous nous mettons à penser « Où es-tu, mon Dieu ? ». Comme Il nous semble loin, dans ces moments-là ! Comme Il nous semble indifférent à nos malheurs, à nos difficultés !

Il nous accompagne pourtant dans notre barque, nous qui le croyons absent, resté sur les rives du lac. Et quand, au beau milieu de la traversée, au cœur de nos angoisses, nous l’apercevons enfin, nous avons souvent du mal à le reconnaître. Alors, comme les disciples, la peur nous fait pousser des cris. Il faut qu’il nous rassure, qu’il nous parle : « Confiance ! C’est moi ; n’ayez pas peur ! » Mais le doute reste le plus fort, et nous avons besoin de preuves : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau ! »

En effet, quand Dieu se manifeste, c’est toujours dans la discrétion, alors que nous l’attendons dans des manifestations spectaculaires. Il n’est pas dans l’ouragan ni dans le tremblement de terre ; il n’est pas non-plus dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère. Il n’est pas forcément là où on l’attendrait. Pourtant, si nous sommes vigilants, il nous sera plus aisé de le reconnaître. Qu’a-t-il été dit au prophète Elie ? « Sors dans la montagne, et tiens-toi devant le Seigneur, car il va passer ». C’est grâce à cette attitude d’attente qu’il va pouvoir le reconnaître lorsqu’il passera. A son époque, les dieux païens étaient censés être annoncés par la violence et la force des éléments : l’ouragan, le tremblement de terre, le feu… Mais Elie ne s’y est pas trompé. C’est bien dans le murmure de la brise légère qu’il a reconnu son Dieu, notre Dieu, le seul vrai Dieu. Celui qui vient à pas feutrés, sans s’imposer à notre regard, sans bousculer nos libertés.

Il vient et il nous appelle à quitter la barque pour le rejoindre. Mais avec ce vent qui ne cesse de nous tourmenter, ce vent de nos habitudes, de nos penchants, de nos douleurs, de notre incrédulité, le vertige nous prend, et la peur de sombrer. C’est alors que nous osons crier, avec Pierre : « Seigneur, sauve-moi ! ». Alors, aussitôt, Jésus nous tend la main et nous saisit en disant : « enfin ! Tu crois ! Pourquoi as-tu attendu si longtemps avant de t’ouvrir à moi ? Pourquoi as-tu douté ? » Et aussitôt, le vent tombe ! Tout ce qui nous effrayait disparaît avec les yeux de la foi. La confiance retrouvée nous fait proclamer notre foi avec les apôtres de la barque qui se prosternent devant Lui : « vraiment, tu es le fils de Dieu ! ». Et nous pouvons l’adorer sans détourner notre regard, nous pouvons nous tenir devant lui sans avoir besoin de nous couvrir le visage avec notre manteau, contrairement à Elie qui redoutait de voir Dieu face à face.

Sur un sujet tel que celui de la foi, on ne peut parler ni  d’expérience, ni de science : on ne peut livrer que le fond de son cœur.  La foi est quelque chose d’insaisissable, d’insondable. Sans doute parce qu’elle surpasse tout.  Et puis, tout cela est si étrange : le doute est un manque de foi, mais seule la foi peut nous sauver du doute. Le doute nous éloigne du Christ mais, dans le même temps, notre doute est une détresse qui attire sur nous sa compassion, et qui nous vaut qu’il nous tende individuellement la main, comme à Pierre, lorsqu’il s’enfonçait dans les eaux. Oh ! Oui ! En vérité, il est « grand » le mystère de la foi !

« Seigneur, chaque fois que je me trouverai dans la tempête, dans les moments de doute, de souffrance, de solitude, de lassitude dans ma foi, donne-moi de réentendre ta voix qui me dit : ‘Confiance, c’est moi, n’aie pas peur. Moi aussi, j’ai éprouvé la solitude et l’angoisse dans ma passion. Mais maintenant, vivant et ressuscité, je demeure à tes côtés. Unis ta souffrance à la mienne, tes peurs aux miennes. Tu expérimenteras alors la joie de la résurrection et de la vie nouvelle »

Amen.

12 août 2017 |

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