* homélie du 15 janvier 2023

par Francis ROY, diacre

 

Après ces semaines de l’Avent, où la liturgie s’habillait du violet de l’attente, puis ce temps de Noël tout en blanc, avec ses fêtes de la Nativité, de la Sainte famille, de l’Épiphanie, du Baptême du Seigneur, nous entrons à présent dans le Temps Ordinaire. Non pas qu’il ne s’y passe rien ! Le vert, qui est la couleur choisie pour ce temps ordinaire, évoque la nature qui repousse au printemps, qui grandit jusqu’à atteindre la maturité où le fruit sera bon à manger, où la fleur sera prête à être cueillie. Le vert est ainsi la couleur de l’espérance. Alors, ce temps est ordinaire en ce sens qu’il nous est donné, à nous aussi, pour grandir, pour mettre à profit, au quotidien, tous ces dons spirituels reçus à l’occasion des autres temps forts de l’année, pour faire grandir notre espérance.

C’est aussi le temps, en ce tout début d’année, des vœux que nous présentons à nos proches, et que nous recevons. Et je vous ai, à tous ceux que j’ai rencontré, souhaité simplement une bonne santé et je veux m’en excuser. La méditation des textes de ce jour pour préparer cette homélie m’ont totalement fait changer d’avis. L’avez-vous remarqué, nos vœux sont souvent bien conventionnels, pour ne pas dire convenus. Que souhaitons-nous la plupart du temps, de vive voix ou à travers nos cartes de vœux ? Pour résumer : la réussite de nos projets, et surtout la santé ! Eh bien je nous invite, frères et sœurs, à regarder d’un peu plus près ces formules toutes faites, et à les regarder à la lumière des textes de ce jour.

Avouons-le : Souhaiter aux autres la santé, c’est révéler nos propres peurs, et en particulier notre peur de la maladie. C’est aussi proclamer notre sentiment que la santé, élevée au rang de « valeur », alors qu’elle n’est qu’un effet de la grâce de Dieu, est la condition pour accéder au bonheur. Est-ce à dire que celui qui n’a pas la santé est condamné au malheur ? Derrière ces évocations de la santé se cachent des visages. Chacun de nous a dans le cœur le visage de personnes proches qui sont malades, qui souffrent. Des personnes qui sont dans une situation de dépendance, dont la liberté est amputée, parfois durablement, du fait de la maladie. Peut-être sommes-nous, nous-mêmes, concernés directement par la maladie, la souffrance. Et nous ne souhaitons cela à personne, bien entendu ! C’est en renouvelant ces vœux de bonne santé que nous fabriquons, bien inconsciemment, des limites à notre espérance de croyant. Si la santé est une préoccupation qui tient une place importante dans notre existence, et c’est bien normal, n’en faisons pas un absolu ! Croyons-nous, oui ou non, que le bonheur véritable est celui que Jésus nous promet, quel que soit notre vie, quelles que soient nos difficultés, notre état de santé ? Prenons la deuxième lecture d’aujourd’hui, qui est le tout début de la première lettre de St Paul aux chrétiens de Corinthe. Au début de sa lettre, Paul, lui aussi, présente ses vœux à cette communauté. Quels sont ces vœux ? « Que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ le Seigneur. » La grâce et la paix qui viennent de Dieu. Voilà ce qu’il est bon de souhaiter pour ceux qu’on aime. La santé, bonne ou mauvaise, n’a rien à voir là-dedans. Regardons à présent le psaume 39 que nous venons de chanter. C’est un chant d’action de grâce, c’est-à-dire un cri de remerciement à Dieu. C’est le merci de quelqu’un qui goûte au bonheur. Il ne remercie pas Dieu de lui avoir donné une bonne santé – on ne sait pas quel est son état de santé – mais simplement de s’être fait connaître à lui : « Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles. » Apprécier, comme le psalmiste, cette joie de connaître Dieu, voilà le vrai bonheur. La première lecture, elle aussi, nous dit quelque chose du bonheur : « Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force ». Ce n’est pas la santé qui est ma force, c’est mon Dieu ! Que peut-on souhaiter de meilleur à ceux qui nous sont chers, que de connaître Dieu et de vivre de son amour ? Que peut-on leur souhaiter de mieux que de devenir des saints ? Or, une bonne santé n’a jamais fait de personne un saint, c’est-à-dire une personne comblée de bonheur. Inversement, une mauvaise santé n’a jamais empêché quelqu’un de vivre une vie de saint ; les longues souffrances d’un François d’Assise, d’une Marthe Robin, et de tant d’autres, ne sont-elles pas des preuves que les vœux de bonne santé que nous formulons pour nos amis ne sont pas ajustés à ce qu’au plus profond de nous-mêmes, nous souhaitons pour eux ? Oui, vu sous cet angle, la santé apparaît comme  une valeur bien vaine. Elle est signe de la volonté de toute-puissance de l’homme qui croit pouvoir s’affranchir de Dieu.

Quand nous exprimons nos « meilleurs vœux », si nous sommes chrétiens, nous ne pouvons que souhaiter ce qu’il y a de meilleur. Et ce qu’il y a de meilleur pour chacun, qui mieux que Dieu peut le savoir, lui qui connaît chacun de nous mieux que nous-mêmes ? Laissons donc Dieu nous donner ce qui est bon pour nous. Qui sommes nous pour nous sentir obligés de lui indiquer les moyens de sa grâce ?  « les noces de Cana, la Transfiguration, la pêche miraculeuse, la Résurrection, d’accord, mais pas la Passion ni la Croix ! » N’est-ce pas indigne d’un chrétien de souhaiter pour les autres l’absence de difficultés, l’absence d’adversité, de maladie, de deuils ? Dans le fond de nos cœurs, nous savons bien qu’une vie ne peut pas se passer sans souffrance, sans maladie, sans deuils. Quand, au cours de l’année, ces difficultés surviennent malgré nos vœux du nouvel an, ces vœux apparaissent d’autant plus vains ! Alors, pourquoi ne pas changer nos formulations, en disant par exemple « je te souhaite la force de supporter les difficultés que tu vas rencontrer cette année » ? Car nous savons que cette force, c’est celle que Dieu lui-même nous donne. En se faisant homme parmi les hommes, Dieu n’est pas venu apporter la santé sur la terre, même s’il a opéré beaucoup de guérisons, mais la joie que procure la révélation de son amour.

Frères et sœurs, au début de ce temps ordinaire, temps de la croissance, temps de l’espérance, prenons pour modèle ces personnages que la liturgie nous propose aujourd’hui, et qui tous, témoignent du bonheur de connaître Dieu. Regardons Isaïe, dans ce Chant du Serviteur, qui prophétise le salut de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre. Regardons le psalmiste qui proclame « l’amour de Dieu et sa vérité à la grande assemblée ». Regardons le « peuple saint » à qui s’adresse St Paul, « ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ». Regardons Jean-Baptiste enfin, reconnaissant en Jésus qui vient à lui l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde : « oui, je l’ai vu et je rends ce témoignage : c’est lui le Fils de Dieu ». Avec eux, profitons de nos vœux pour rendre nous aussi témoignage de ce grand amour que Dieu vient nous donner, pour guider notre vie et nous accompagner, sans jamais nous lâcher la main, à travers les épreuves, à travers les difficultés, à travers les maladies et les deuils que, nous-mêmes ou ceux que nous aimons, aurons à vivre cette année. Alors, tout simplement, bonne et sainte année 2003 !

Amen !

15 janvier 2023 |

Les commentaires sont fermés.