Nous voici donc arrivés au temps de l’avent, ce temps de préparation à la venue du Seigneur. La question qui se pose à nous est celle de savoir comment vivre pleinement cette fête du don de Dieu aux hommes, cette fête du don de son fils unique. Acclimatés à cette présence de Dieu à nos côtés par la venue de Jésus Christ dans notre vie, nous pouvons très facilement oublier le côté extra-ordinaire, c’est-à-dire hors de l’ordinaire, de cette venue du Christ. Et cette venue du Christ est doublement extraordinaire : elle sort de l’ordinaire parce que le Christ prend chair, délicatement, en Marie en rompant les règles naturelles de la vie ; mais elle sort aussi de l’ordinaire parce que, bien que Fils de Dieu, il prend ainsi chair en Marie sans fanfare ni trompette en s’inscrivant dans le temps des hommes, à un moment particulier et à un endroit particulier. Le Christ prend place dans les événements du monde, dans l’histoire du monde, dans l’histoire des hommes. Le temps de l’avent est donc le temps de cette redécouverte de la venue du Christ dans notre monde et du côté extraordinaire de cette venue.
Mais ce temps de l’avent n’est pas non plus que cela. Il est aussi réactivation d’une attente, car nous sommes en chemin et attendons la résurrection ; il est construction d’une disposition, car pour suivre ce chemin vers la résurrection il faut que nous organisions notre vie ; et il est, enfin, rappel d’une espérance, car cette résurrection nous est bel et bien promise. Et c’est ce que nous disent précisément les textes de ce jour.
Nous parlent-ils de Noël ? Non ! Ou du moins, pas directement. Et pourtant ils nous parlent bien de la venue du Seigneur. Mais la venue dont il est question dans l’évangile de Luc est la seconde venue du Seigneur, celle de la fin temps, cette venue que l’on appelle la parousie. Finalement, pendant ce temps de l’avent, en nous acheminant vers Noël, nous faisons mémoire de la première venue du Seigneur mais nous restons en même temps tendus vers la deuxième venue du Seigneur qui n’est pas encore arrivée et à laquelle nous devons nous préparer en pleine confiance. Nous sommes donc dans un entre-deux, entre un temps déjà réalisé dans l’histoire, Noël, et un autre temps qui, lui, n’est pas encore arrivé, la parousie. A travers cette période de l’avent, qui marque le temps où le Fils de Dieu prend chair en la vierge Marie, nous nous rappelons que nous sommes toujours en attente de la deuxième venue du Seigneur, nous nous souvenons que nous sommes en chemin.
Le texte de l’évangile de Luc que nous venons de lire n’est pas un texte facile pour nous peuple de paix, qui vivons aujourd’hui dans une certaine sécurité matérielle. Il est plein de fracas et de déchirements :
« Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. »
Ce n’est pas un temps de joie et de paix qui est décrit là mais un temps de profondes épreuves. Pour les peuples déchirés par la guerre il sonne autrement, et peut-être qu’après les événements meurtriers de Paris de ces derniers jours ils nous touchent aussi, ici, différemment…
L’évangile n’est pas une histoire à l’eau de rose, où les choses sont enjolivées. Bien au contraire, ces choses nous sont dites en vérité pour que nous puissions librement, en connaissance de cause, nous disposer, pour que nous puissions nous préparer et ne pas nous laisser embarquer par le cours d’une vie trop molle ou le cours d’une vie trop dure. Ces choses nous sont dites pour que nous ne désespérions pas, pour que nous n’abandonnions pas en chemin, pour que nous ne soyons pas disloqués par les événements dramatiques ou, tout simplement, pour que nous ne soyons pas égarés par les « soucis de la vie », ces soucis sur lesquels nous pouvons concentrer toute notre attention en oubliant de vivre l’essentiel.
Les textes de ce jour nous disent qu’il nous faut savoir et pouvoir traverser les épreuves, c’est-à-dire qu’il nous faut savoir attendre en restant des hommes de vie, pour ensuite profiter pleinement du règne de Dieu, pour être des hommes qui se relèvent en déchargeant le fardeau de leurs épaules. Nous sommes appelés à être des hommes debout, des hommes droits et libres. Dieu nous désire ainsi. Le prophète Jérémie, à une période où son peuple subit les assauts militaires de ses voisins, montre vers quoi son peuple doit être tendu, vers l’espérance de ce temps qu’il annonce où « Jérusalem habitera en sécurité ».
Attendre ce n’est donc pas être passif, mais c’est se préparer, se disposer pleinement à un événement futur en organisant sa vie, son temps et son attention vers ce qui compte réellement. Nous le savons bien, nous parents, comment ce temps de l’attente de l’enfant à naître nous amène à réévaluer ce qui compte ou ne compte pas. Nous modifions nos activités, nous réaménageons non seulement l’intérieur de nos maisons mais aussi nos façons d’être. Et combien plus encore vous les mères, vivez-vous avec une intensité exceptionnelle ce temps de croissance en vous de l’enfant à naître. Votre rythme se ralentit, votre sensibilité se modifie et votre corps s’arrondit. Au plus profond de vous vous êtes transformées et votre vie s’organise autour de la naissance à venir. Et c’est à ce temps de maturation que nous appelle aussi ce temps de montée vers Noël. Un temps qui prend son temps, puisque les choses ne peuvent se faire instantanément. Noël n’est pas que le jour de Noël, mais c’est tout le cheminement qui permet d’arriver à ce jour.
Tout se joue donc au plus profond de notre être. Avez-vous remarqué comment Paul et Luc se réfèrent dans les textes que nous venons de lire à ce qui se passe dans notre cœur, c’est-à-dire à ce qui se passe dans le plus profond de notre être ? Ils parlent d’un travail à faire. Pour Paul, il s’agit « d’affermir notre cœur », et pour Luc, d’éviter que « notre cœur s’alourdisse ». Comme nous le disent Paul et Luc, nous affermissons notre cœur en ayant un amour débordant et intense les uns envers les autres, et nous gardons un cœur léger en restant unis à Dieu par la prière. Si la bible ne nous cache rien sur la désolation, elle nous dit tout autant, en vérité, cette immense espérance : Dieu nous sauve.
Par ce temps de l’avent, mettons-nous donc en route pour nous rappeler l’événement extraordinaire de l’incarnation du Fils de Dieu, mettons-nous en route pour cheminer dans l’espérance du salut que nous promet Dieu et mettons-nous en route pour vivre pleinement cette attente de la venue de notre sauveur. Avec cette entrée dans l’avent, c’est une nouvelle année liturgique qui commence centrée, comme notre Pape François l’a voulue, sur la miséricorde. C’est par la miséricorde dont Dieu témoigne envers nous et dont nous témoignons les uns envers les autres que nous sommes un peuple en marche vers le salut. Et c’est par le souci commun que nous portons envers les plus pauvres, envers la vie et envers la création, comme nous le rappelle encore le Pape François, que nous formons un peuple. L’année liturgique s’ouvre au même moment que le rassemblement à Paris des chefs de gouvernement pour lutter contre le réchauffement climatique. Serait-ce un bon signe des temps ?
Amen.
Claude Compagnone, Diacre