LA SAINTE TRINITÉ, C’EST LA COMMUNION

père Joseph Moingt , s.j.- La gratuité est la marque par excellence de la prière trinitaire

Elle caractérise les relations de pur amour entre les Personnes divines, d’effacement de chacune devant l’autre, de don de soi à l’autre. C’est bien pour ce motif que la prière contemplative, qui nous introduit dans les échanges trinitaires, tend à conformer nos échanges humains — ­et pourquoi pas économiques ou politiques ? – à ce même modèle. La gratuité est à comprendre dans l’ordre de l’oubli de soi, non de l’abstention à l’égard des choses du monde. Jésus n’a pas fonde une religion de « renonçants », et les mystiques chrétiens sont des hommes et des femmes  ­d’action : sainte Thérèse d’Avila en est un illustre exemple, et la prière d’Élisabeth de la Trinité ne peut que renvoyer à la mystique d’action de cette réformatrice du Carmel.

La Trinité divine est maitresse d’humanité.

Il est plus que jamais nécessaire que la prière vienne recharger nos réserves de gratuité : N’est-ce pas la leçon à tirer du récit des «Trois Visiteurs » ? Dans l’échange qui se fait entre l’hospitalité offerte à Dieu par Abraham et la promesse de Dieu de lui donner une postérité, une Alliance se noue entre la Trinité et l’humanité. La gratuité du don fait par l’homme à Dieu, elle-même provoquée par la libéralité de la visite divine, retourne le donateur en destinataire du don qu’il croyait faire, et ce retournement alimente la chaîne sans fin des échanges du don et du contre-don.  Ainsi la gratuité de la prière à la Sainte Trinite entretient la libéralité souverainement nécessaire des échanges humains, la contemplation mystique passe en « économie » de services fraternels.

Alain CHENAL, iconographe : De l’icône émane une impression d’intense relation d’amour, d’accueil et de respect réciproque, d’écoute et de communion : le maître d’ouvrage, commanditaire et responsable est le Père ; il commande l’œuvre au concepteur et maître d’œuvre : l’Esprit ; le Fils est l’entrepreneur : Il sera Dieu parmi les hommes, réconciliant l’homme avec Dieu, le libérant du péché par sa Passion et résurrection et l’invitant à la table du festin divin, à cette place vide devant, en face du Père.  Ainsi, cette icône est, à travers l’annonce du fils promis et tant espéré par Abraham, fondamentalement l’icône du triple Don de Dieu :  – Don du Fils Jésus à l’humanité par Marie à Noël, et à chacun de nous aujourd’hui,  – Don de la vie de Jésus à Pâques à travers sa passion et résurrection perpétuées par l’eucharistie, pour nous libérer du péché et nous donner la vraie Vie,  – Don de l’Esprit Saint à l’Église à la Pentecôte pour permettre la divinisation de l’homme et l’admettre à la table du Royaume de l’Amour.

http://iconesalain.free.fr/

 

Élisabeth de la Trinité

Ô mon Dieu, Trinite que j’adore, aidez-moi à m’oublier entièrement pour m’établir en vous, immobile et paisible, comme si déjà mon âme était dans l’éternité. ..

Que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère !

Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne vous y laisse jamais seul ; mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée a votre Action créatrice…

Ô Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire tout enseignable afin d’apprendre tout de vous. Puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière…

http://www.carmel-flavignerot.fr/

31 mai 2015 |

PRÉDICATION POUR L’ASCENSION 2015

J’ai en tête tous ces tableaux et les images des disciples agglutinés à côté de Jésus qui le regardent s’élever. Ils ont une foule autour de Jésus qui voudraient tellement le retenir et le garder avec eux !

Dans la même méditation, il m’est venu aussi ce que j’appellerais bien  la « parabole du ballon de rugby » : ce ballon qu’on ne doit jamais « tuer » en l’enfermant sous la masse des joueurs, ce ballon qui se lance très haut pour réparer une faute de l’adversaire …

Et j’ai envie de me demander si l’Ascension ne sera pas d’abord le signe de la liberté de Jésus : celui qu’on ne peut « bloquer » sous  le poids d’une pierre tombale, celui qui monte très haut, au-delà des barres et des barrières pour réparer nos fautes…  Il a besoin de quitter le poids de toutes ces personnes qui se massent autour de lui et qui veulent le retenir, le garder avec elles –pour elles ?–, le noient sous les pleurs, « l’enterrent sous les fleurs » des « regrets éternels »,  comme Marie-Madeleine à qui il faudra un double retournement pour entrer dans l’idée d’un chemin de parole neuve…

… J’aurais presque envie de dire qu’il n’y a pas d’autre solution pour lui que de s’élever au-dessus de cette lourdeur trop affective, trop amicale, dégoulinante de bons sentiments (comme aussi de mauvais) trop aliénants. Tout autant que de dépasser les orages –les orages qui sont aussi nos orages— il surmonte nos trop médiocres cœurs.

… D’une certaine façon, la haine ou l’excès de religiosité sont des enfermements qu’il lui faut briser.

L’Ascension est dans la logique de la résurrection : Jésus échappe à tous.

D’abord, il est un homme libre. il a passé tout son temps à proposer la liberté aux autres et à agir pour cela. Toute son existence  est le signe d’un Dieu qui ne peut pas être enfermé en quoi que ce soit ou qui que ce soit. En ce sens-la, l’Ascension est une action de libération que le Père, par Jésus, propose — — à nous autres.

Et par nous-autres ?

C’est cette attitude du fond de son être qui a rendu les disciples progressivement convaincus qu’il est  en lui-même l’action de Dieu dans notre monde, qu’il est, en lui-même, parole du Dieu qui a, dès les origines, voulu que l’homme soit libre. Par l’Ascension, Jésus rejoint la liberté de Dieu. Il devient la Liberté de Dieu telle que le Seigneur l’a donnée à connaître à l’intérieur de l’histoire des hommes.

Et il nous faut du temps pour le comprendre. Les disciples ont d’abord les yeux rivés sur le ciel. Ils ont les yeux fixés sur le ciel et figés sur ce qui disparaît. Sur ce qu’ils espéraient et qui s’en va. Ils avaient compté sur Jésus pour réaliser leurs espérances à leur place. Les disciples attendaient de Jésus que ce soit lui qui établisse un royaume de justice, de la même façon, nous le savons, que les disciples sur la route d’Emmaüs avaient exprimé leur déception parce que Jésus ne les avait pas libérés de leur oppresseur romain…

Or Jésus, signe du Père, parole de Dieu, se refuse à faire les choses à la place de nous autres.

L’Ascension réalise la double libération que Jésus veut apporter : Jésus devient aérien  et libère du fardeau de nos pesanteurs ; et la libération à l’égard de notre passé nous ouvre à un autre regard, sur le monde et sur nous, qui ne soit plus fixe, figé,  refermé ou renfermant.

J’y ajouterai donc une troisième libération : Jésus nous libère à l’égard de tout maître possible qui nous bloquerait la liberté. …

Du coup, on le sait, tous les puissants refusent l’insoutenable légèreté de Jésus et l’insoutenable liberté du croyant ! Cela se voit aujourd’hui.

Certes, il faudra bien que ce soit Dieu en personne qui envoie ses deux messages  — ces deux hommes en blanc semblables aux anges qui annonçaient aux femmes venues pleurer dans le tombeau que Jésus ne pouvait plus y être enfermé, non plus que dans les souvenirs… non plus que dans telle ou telle culture, on pourrait en tenir compte à certains jours aujourd’hui …

En ce sens-là, l’Ascension va ouvrir à la fête de Pentecôte où les disciples, c’est-à-dire nous-mêmes, ne seront plus bloqués sur quoi que ce soit. Libres de tout, ils pourront parler avec toute autre personne. Libres de tout, nous pouvons libérer toute personne. Libres de tout, nous pouvons manifester l’invraisemblable dignité de chaque personne de cette terre : puisque « l’un d’entre nous, avec toute sa faiblesse, a pris place à côté de Dieu ».

Pâque, Ascension, Pentecôte : ce sont des fêtes de réconciliation, de pardon. Et des fêtes d’une vie qui nous est donnée parce que nous avons un but et une raison d’être. Nous avons du sens. Nous allons vers l’avenir à la manière de Dieu.

En jouant sur les mots, je dirais que nous avions des aspirations, des aspirations bien raisonnables, à notre mesure, mais que c’est maintenant le Seigneur qui aspire à nous voir avec lui. C’est « l’amour fou du Seigneur » dont parlaient Isaïe et la fête de Noël « qui fait cela« .

Ce sont des fêtes qui nous libèrent de tout, sauf d’aimer et de recevoir l’amour, de le recevoir avec reconnaissance, humblement.

Dans le récit des Actes des Apôtres, st Luc explique qu’il fallait que ce soit au cours d’un repas que les disciples comprennent la prom

esse de Jésus. Comme les disciples d’Emmaüs. C’est-à-dire au cours du repas eucharistique. La Messe doit être le lieu de cette confiance en Jésus et en son A-venir. L’Église doit être cet instrument.

Pâques, Ascension, et Pentecôte sont des fêtes où l’action de Dieu crée un peuple de frères. C’est ce que nous dit la lettre de saint Paul dont nous se venons d’entendre un passage. Avec humour il dit que l’Église est la Maison où nous apprenons à nous supporter les uns les autres : devenir une famille-témoin que ce monde neuf peut exister, où l’on se supportera, où l’on apprendra à faire la paix et non plus la guerre (Isaïe, toujours).

Avec le Christ Jésus, les humains ont tout gagné.

Il n’y a plus qu’à vivre maintenant cette confiance.

27 mai 2015 |

6° DIMANCHE DE PÂQUES

Évangile selon saint Jean, chap. 15, 9-17
Livre des Actes des Apôtres, chap. 10,25-48

  • Premier point à propos de l’Évangile :

il paraît que l’apôtre Jean sur la fin de sa vie, et devenu un très vieil homme, ne savait que répéter « aimez-vous les uns les autres comme il vous a aimés ». Le message essentiel, l’héritage à se transmettre de génération en génération.

  • Et deuxième chose que je voudrais faire remarquer à propos du récit des Actes des Apôtres :

Saint Pierre applique ce que le pape François nous a dit il y a peu de temps : « Le chrétien doit entrer en conversation avec le monde ».

Vous vous rappelez l’épisode qui précède : le récit de saint Luc raconte comment au moment du repas de midi, Pierre avait vu le ciel descendre vers lui comme une grande nappe ouverte, et sur la nappe toutes les nourritures possibles, les permises et les interdites — aujourd’hui on dirait facilement : les cachères et les hallal comme les pas cachères et les pas hallal. Il n’y comprenait rien, et surtout, il tenait mordicus à ne pas entrer en contact avec les choses interdites. Il y tient au point de dire au Seigneur « n’insiste pas mon Dieu, je n’ai jamais fait cela, je ne le ferai jamais ».

Et voici que viennent toquer à la porte… justement des personnes étrangères, païennes, avec qui toute relation était interdite par la religion.

Alors, l’esprit de Pierre s’éclaire. Il comprend le signe de Dieu. Pierre entre en conversation avec ces étrangers qu’il croyait dangereux ; il fait route avec eux jusque chez eux. Il parle avec eux. Il leur parle. Il a quelque chose à leur dire.

Et c’est là que l’Esprit de Dieu fait irruption. Il s’invite dans cette réunion où les disciples et les païens sont enfin réunis. Il vient couper la parole à Pierre — ou plutôt, il vient donner corps et consistance à la parole de Pierre. Comme au jour de Pentecôte, il donne confirmation que chacun peut recevoir l’énergie de Dieu. Il n’y a plus de cercle fermé. Il n’y a plus de domaine réservé. Tout le monde peut parler avec tout le monde.

Comme quoi, du premier pape jusqu’à celui d’aujourd’hui, il y a une ligne de fond. Depuis le quatrième Évangile jusqu’au pape qui exhorte à respirer de joie en Évangile, il y a continuité.

Alors, puisque le « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » constitue la trame de l’Église et de toute vie chrétienne, le chrétien est celui qui écoute tout le monde et fait route avec chacun, celui qui l’entend et parle avec lui. L’Église est au service de toute vie. Le chrétien « basique » aide à manifester la vie.

On le voit : Aimer, c’est payer de sa personne, C’est faire des kilomètres avec les autres — les Afghans, paraît-il, disent qu’il faut commencer par manger un kilo de sel ensemble pour se connaître.

Aimer, c’est accepter de tout risquer pour offrir de l’avenir : par goût de l’avenir et par certitude de l’avenir. C’est faire confiance envers et malgré tout. C’est accepter d’être surpris mais continuer à offrir la paix. Jusqu’à la Croix et à la Résurrection….

S’il le faut, — et il le faudra !

Parce que c’est le seul moyen pour vivre comme le Christ.

  • Donc, dernier point, ce n’est pas par nos seules forces que nous y arrivons. Et sans vouloir les vexer, ce n’est pas d’eux-mêmes que les disciples ont inventé cela. Ils étaient branchés sur l’énergie de Jésus et sa manière d’être. Sans rien comprendre, d’abord, d’accord, mais à l’écoute tout de même, et disponibles à son écoute à Lui. C’est alors l’Esprit-Saint de Dieu qui fait comprendre aux disciples ce qui se passe. Il leur permet de trouver la pièce manquante du puzzle de leurs vies. Comme si l’Esprit Saint qui faisait vivre Jésus dans toutes ses fibres et toute son âme était libéré du corps de Jésus depuis la mort de Jésus, et que le big-bang de la résurrection le leur propulse. L’Esprit leur donne de voir l’invisible autrement qu’avec les moyens corporels, physiques ou techniques.

L’Esprit vient du fond et permet le fond.  Il est l’action du cœur et de l’intelligence. Il donne consistance et  réalité.

À nous de le prier, de ne pas faire impasse sur ses dons — à commencer par le don de sagesse et d’intelligence : ce don qui permet à l’artisan de faire bien son travail et cette intelligence qui permet de créer en profondeur et en durée.

Ce pourrait être notre préparation à la Pentecôte qui vient.

9 mai 2015 |